RDC: Isidore Ndaywel, arrêter maintenant, «c'est ne pas respecter ceux qui ont sacrifié leur vie»

Les condamnations pleuvent sur les forces de sécurité de la République démocratique du Congo après la répression de la deuxième marche des chrétiens. Au moins 6 morts, des dizaines de blessés, dont des prêtres, un agent de la Monusco et plus d’une centaine de personnes arrêtées. Ces marches sont organisées à l’appel du Comité laïc de coordination, un groupe d’intellectuels laïcs proche de l’Eglise catholique, qui réclame l’ouverture de l’espace politique avant des élections maintes fois reportées, mais promises pour décembre cette année. Pour en parler, Sonia Rolley reçoit Isidore Ndaywel, historien congolais reconnu et membre du Comité laïc de coordination.

RFI: Marie-Ange Mushobekwa, la ministre des droits humains promet à nouveau des enquêtes sur les exactions commises par les forces de sécurité dimanche 21 janvier. Est-ce que cela vous rassure ?

Isidore Ndaywel: Malheureusement non parce que c’est une manière de botter en touche. Nous notons depuis 2015, nous avons la situation de Beni, la situation du Kasaï, Kamuina Nsapu, c'est toujours dans les enquêtes, les experts des Nations unies, la répression de la manifestation, les fosses communes etc. C’est chaque fois des enquêtes. Et nous ne savons pas finalement quand on aura les résultats.

Donc vous pensez qu’il y a une sorte de mauvaise foi du gouvernement ?

Mauvaise foi et incapacité parce que nous sommes dans une situation pas seulement de mauvaise gouvernance, mais je crois que seulement d’absence de gouvernance.

La ministre rappelle également que le droit de manifester et la liberté d’expression sont garantis par la Constitution. Mais elle ajoute « dans le respect de l’ordre public ». Vous-même, au Comité laïc de coordination vous organisez ces marches, notamment pour demander l’ouverture de l’espace politique. Il semblerait que vous n’ayez pas du tout la même lecture des textes fondamentaux ?

Les textes, lorsqu’on est ici sur le terrain, on ne voit absolument pas la mise en œuvre de ces textes, le respect de ces textes qui sont si bien récités lorsqu’on est ailleurs. C’est une réalité observée par nous, mais qui est observée également par la Monusco. Vous avez vu ce qui s’est passé le 21 janvier, même la Monusco a déploré le fait que même ses propres troupes ont été quelque part molestées.

La ministre dit également que les autorités n’autorisent pas vos marches, non pas parce qu’il y a une interdiction générale de manifester sur tout le territoire depuis septembre 2016, comme le dit le secrétaire général de l’ONU, mais parce que la police ne serait pas en mesure de sécuriser tous vos cortèges. Que lui répondez-vous ?

Ce que nous constatons, c’est que les effectifs qu’on estime être insuffisants pour sécuriser sont ceux-là même qui introduisent l’insécurité. Ce sont ces troupes. Les chrétiens, les musulmans, les kimbanguiste qui ont fait la marche le 21 janvier, comme d’ailleurs le 31, n’avaient pour seule arme que la Bible, le chapelet et les rameaux. Voilà ce qui s’est passé. Il n’y a pas eu jusqu’à présent de discours contraires de gens qui nous aient amené des preuves qu’ils ont vu autre chose. Les condamnations qui viennent de toute part sont significatives en elles-mêmes.

C’est-à-dire que pour vous, si la police n’a pas assez d’effectifs pour sécuriser ces marches, elle ne devrait pas avoir suffisamment d’effectifs pour les réprimer ?

Mais absolument. On tourne en rond inutilement avec cette question qui n’en est pas une. Nous avons ici une police qui semble être renforcée par des effectifs d’origine étrangère à la police, et c’est surtout ces éléments-là qui sont à la base de plusieurs exactions.

Pourtant de la présidence au gouvernement, on assure que des instructions avaient été passées pour éviter les violences pour faire « zéro mort ». Est-ce que vous avez senti une inflexion dans la répression entre la marche du 31 décembre et celle du 21 janvier ?

Nous n’avons pas ressenti une inflexion, nous avons plutôt senti le contraire. C’est ça qui nous surprend, qui nous attriste parce qu’une fois de plus, nous en sommes finalement à vivre un deuil. On a eu les martyrs du 31. Nous pensions que cela s’arrêterait là. Mais maintenant nous avons encore les martyrs du 21 janvier. Et ils sont plus nombreux que ceux du 31 décembre.

Pourquoi continuer justement alors que les fidèles que vous appelez à manifester sont tués, blessés ou arrêtés ?

Nous pensons qu’arrêter à ce niveau, c’est finalement ne pas respecter ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour qu’il y ait le changement. Qu’on aille vers le respect des droits de l’homme vers l’ouverture de l’environnement politique pour que les élections qui viennent soient réellement des élections crédibles, réellement transparentes et réellement apaisées. Donc nous sommes là dans l’obligation de continuer.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’être manipulés, vous, le Comité laïc ou même le cardinal Monsengwo ou même la Commission Episcopale Nationale du Congo (Cenco), par l’opposition ?

Moi, je vais dire, quelqu’un de mon âge qui a de l’expérience qui est la mienne, c’est vraiment une insulte d’imaginer que je me fasse manipuler par qui que ce soit. Si j’ai pris cette option avec mes amis, c’est parce que nous avons estimé que la société était vraiment bloquée et qu’il fallait éviter que nous arrivions, que notre population arrive à des comportements suicidaires. Nous sommes dans un pays qui a connu des guerres où il y a souvent des rebellions. Il fallait absolument faire en sorte que la non-violence puisse prévaloir et qu’on arrive à obtenir des résultats concrets vite et bien, faute de quoi probablement les extrémistes de tous bords pourraient apparaître et créer des situations non désirées de tout le monde.

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