RFI : Selon les Nations unies, la répression par les forces de l’ordre a fait au moins six morts dimanche à Kinshasa. Quelle est votre réaction ?
Marie-Ange Mushobekwa : Ma réaction, je voudrais vous rappeler d’abord que la liberté d’expression, la liberté de culte, la liberté des manifestations est un droit garanti par la Constitution de la République démocratique du Congo, mais dans le respect de l’ordre public. Je regrette profondément qu’il y ait eu des morts, qu’il y ait eu autant de blessés. Mais au-delà des condamnations, il faut que les auteurs de ces actes soient punis et poursuivis par la justice congolaise. Le gouvernement a donné l’ordre à la police nationale congolaise d’encadrer et de protéger la population, et non pas d’ouvrir le feu.
Selon plusieurs témoignages, une des victimes, une jeune femme de 24 ans, a été tuée quand des militaires ont tiré une rafale d’arme automatique sur le parvis de l’église Saint-François de Sales dans la commune de Kintambo à Kinshasa. Comment expliquez-vous cela ?
Il n’y a aucune explication. Je ne peux pas comprendre qu’un élément des forces de l’ordre décide d’ouvrir le feu. Les auteurs de ces actes ne resteront pas impunis.
Depuis septembre 2016, voilà plus d’un an que les forces de l’ordre utilisent des armes à feu pour réprimer des manifestations. Et en septembre 2016, on a même déploré plusieurs dizaines de morts à Kinshasa. Or depuis cette date, aucune poursuite n’a été lancée. Comment voulez-vous qu’on vous croie aujourd’hui ?
On a déploré des morts en septembre 2016. Les enquêtes avaient été ouvertes et se poursuivent. Depuis septembre 2016, les enquêtes ont été ouvertes également pour ce qui s’est passé le 19 décembre 2016. [Pour] le 31 décembre 2017, les enquêtes se poursuivent. Vous comprenez bien qu’on ne peut pas ouvrir de procès tant que les enquêtes ne sont pas encore achevées. Vous demandez comment peut-on nous croire ? Il faut nous croire parce que bientôt, ces enquêtes vont prendre fin et les coupables seront poursuivis et punis…
Au sein des forces de l’ordre ?
Au sein des forces de l’ordre parce que vous avez vu par exemple ce qui s’est passé dans le Kasaï-Oriental, précisément à Mwanza Lomba, certains éléments indisciplinés de l’armée qui avaient décidé d’ouvrir le feu sur les civils.
En décembre 2016.
En décembre 2016. Ces éléments-là avaient été poursuivis et condamnés à perpétuité par la justice militaire congolaise. Deux d’entre eux sont en fuite, mais le jour où la justice congolaise va parvenir à mettre la main sur eux, elle va les juger et les condamner également.
Vous parlez des massacres au Kasaï. Je reviens à la répression très brutale à Kinshasa ces dernières semaines. Pour poursuivre les auteurs de ces crimes, il faut pouvoir les identifier. Or de nombreux témoignages indiquent que les soldats, les policiers de plusieurs unités portent des masques représentant une tête de mort. Impossible de les identifier à ce moment-là ?
Non. [Dans] les vidéos que j’ai vues hier, des éléments des forces de l’ordre en train d’agresser les populations civiles démontrent que ces personnes ne portaient pas de cagoule. Donc on saura facilement les identifier. On saura à quelles unités ces personnes appartiennent. Cela sera facile de les identifier et de les poursuivre. Pour ceux qui ont porté des masques de mort, je ne suis pas au courant. Mais si ces faits sont avérés, les enquêtes vont nous aider à pouvoir les identifier à partir de leurs unités respectives. Les coupables doivent être poursuivis et punis sévèrement.
Dans plusieurs endroits de la capitale, les forces de sécurité ont été vues en train de ramasser des corps. Pourquoi n’est-ce pas la Croix-Rouge qui fait ce travail. Est-ce qu’on veut cacher le nombre de victimes ?
Je ne suis pas au courant de ces informations que je vais vérifier.
Des observateurs de la Monusco, de l’ONU, ont été pris à parti ce dimanche en deux endroits de la capitale Kinshasa. Certains ont même été tabassés. Est-ce qu’il y a quelque chose à cacher ?
J’ai reçu un coup de fil du directeur du bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme qui m’a fait part de cette situation. Je regrette profondément que cela se soit passé ainsi. Les éléments des forces de l’ordre qui ont agi de la sorte ne le devraient pas parce que la Monusco est là pour accompagner le gouvernement de la République démocratique du Congo à rétablir la paix. Ce sont nos partenaires privilégiés et les éléments des forces de l’ordre n’ont pas le droit d’agresser le personnel de l’ONU. Le gouvernement ne peut pas tolérer qu’on s’en prenne au personnel de l’ONU qui est là pour nous accompagner.
Depuis septembre 2016, toutes les manifestations sont interdites dans votre pays. Or la Constitution autorise les manifestations, c’est même un droit constitutionnel…
Pour les cas de manifestations du 31 décembre 2017 et celles du 21 janvier 2018, ceux qui les ont organisées ont dit aux autorités urbaines qu’il y aurait 167 points de départ, sans indiquer l’itinéraire, sans indiquer les points de chute. Selon les informations reçues de la part du gouvernement provincial de Kinshasa, la police n’était pas en mesure de sécuriser toutes ces marches. Et c’est pour cela que l’autorité urbaine a estimé qu’il fallait les interdire. Mais en tant que ministre des Droits humains, je reconnais que, dans le processus électoral qui est engagé, il faudra bien qu’on trouve une solution afin de permettre à tous les partis politiques de toutes tendances confondues de pouvoir s’exprimer librement parce qu’il faudra bien battre campagne, mais dans le respect de l’ordre public, dans le respect de l’adversaire, dans la tolérance, sans exposer l’adversaire à un lynchage.
Mais je reviens à ces manifestations interdites, l’église catholique congolaise dénonce la « barbarie » des forces de l’ordre congolaises. Et de fait, quand ces forces tirent à balle réelle sur des manifestants aux mains nues, est-ce qu’elles n’ont pas un comportement « barbare » ?
Si certains éléments de l’armée congolaise se sont comportés d’une manière barbare, cela ne veut pas dire que l’ensemble de tous les corps de l’armée congolaise est composé de voyous.
Ce dimanche, depuis Lima au Pérou, le pape François s’est adressé directement à vous, les autorités congolaises, pour vous demander d’éviter toute forme de violence au Congo. Cela fait quoi d’être interpellé par le pape ?
Cela fait que le pape est une autorité morale respectable à travers le monde entier, cela fait que la voix du pape doit être écoutée par tout le monde parce que, [dans] la République démocratique du Congo, l’église catholique est représentée partout. Je vous informe que je suis moi-même catholique, pratiquante. Donc je reconnais l’autorité du pape.
Et de monseigneur Monsengwo, cardinal archevêque de Kinshasa…
Oui, le cardinal archevêque de Kinshasa. L’église est là pour nous accompagner tous dans la foi, pour nous interpeller lorsque les choses vont mal. L’église est là pour nous rassembler. L’église n’est pas là pour prendre parti. L’église doit nous accompagner, mais en évitant de diviser ses fidèles. L’église ne devrait pas prendre ouvertement parti pour certains et livrer d’autres au lynchage.
Mais quand monseigneur Monsengwo dit qu’il faut que « les médiocres » s’en aillent. Est-ce qu’il n’y a pas de fait, dans la majorité, quelques médiocres ?
Vous avez parlé de « quelques » médiocres. C’est dans l’ensemble de la classe politique congolaise.
Y compris au pouvoir ?
Il y en a aussi des bons, dans l’opposition comme dans la majorité. Il y a ceux qui ne méritent pas d’exercer la fonction politique au sein de l’opposition comme de la majorité.
Si les gens manifestent depuis le 31 décembre 2017, c’est pour que le président Kabila déclare publiquement qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Mais si la Constitution lui interdit formellement ce troisième mandat, qu’est-ce qui l’empêche de promettre dès aujourd’hui qu’il ne briguera pas ce troisième mandat ?
Je suis ministre des Droits humains. Je ne suis pas porte-parole du président de la République. Mais je voudrais juste vous rappeler que le président de la République, lors de son dernier discours le 31 décembre 2017, a dit que le « processus électoral était irréversible » et que les élections auront bel et bien lieu le 23 décembre 2018. Il n’a pas modifié la Constitution. Il sait que la Constitution dit clairement qu’il a droit à un mandat renouvelable une seule fois.
Voilà juste quinze ans, le 7 janvier 2013, que quelque trente personnes ont été condamnées à mort par un tribunal de Kinshasa suite à l’assassinat deux plus tôt du président Laurent Désiré Kabila. Parmi eux, le colonel Eddy Kapend, Nono Lutula (ancien conseiller spécial à la sécurité de l'ancien président Laurent Désiré Kabila) et bien d’autres. Ils sont toujours en prison. Ils sont toujours dans le couloir de la mort à ne pas savoir quel sort les attend…
Moi, en tant que ministre des Droits humains, dans mes prérogatives, j’ai juste le devoir de vérifier la régularité de la détention et de vérifier les conditions des détentions. J’ai été à la prison de Makala le 1er février 2017. Je m’y suis rendue également le 26 juin 2017. Et à ces deux occasions, j’ai rendu visite à certains prisonniers dont vous parlez, notamment Eddy Kapend. Je lui ai demandé si ses droits en tant que détenu étaient respectés. Il m’a dit « oui ». Il m’a rassurée qu’il n’était pas torturé physiquement, qu’il avait le droit d’être visité par les membres de sa famille et ses proches. Et en tant que ministre des Droits humains, mes prérogatives se limitent là.
Vous dites que vos prérogatives s’arrêtent là, mais vous êtes tout de même la ministre des Droits de l’homme. Et suite aux importantes irrégularités de procédure constatées pendant le procès de 2003, vous vous rappelez que le président du tribunal lui-même a reconnu que l’instruction avait été bâclée. Suite à cela, en 2014, la Cour africaine des droits de l’homme vous a demandé de libérer tous ceux qui restaient en prison…
Nous devons examiner cette question à travers le ministère de la Justice. Je ne peux pas me substituer aux magistrats.
Mais 17 ans après leur arrestation, ne faut-il pas songer à une grâce ou à une amnistie ?
La grâce et l’amnistie dépendent du ministère de la Justice.
Et vous-même à titre personnel, qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas le droit de parler à titre personnel. Je parle en tant que membre du gouvernement.