Bien plus qu’une bonne nouvelle, la fin du calvaire de notre confrère Ahmed Abba est, en effet, une source réelle de leçons de vie et d’espérance pour la justice sur le continent, et pour tous ceux qui exercent « ce métier de courage », en Afrique et de par le monde. Ces leçons transparaissent, d’ailleurs, avec une telle limpidité, dans l’interview de son avocat, Charles Tchoungang, conduite par notre camarade Christophe Boisbouvier.
En cinq minutes, nous en apprenons énormément sur l’affaire, sur la procédure, sur le procès, sur le rapport à la justice des politiques, comme des journalistes. Les auditeurs en apprennent beaucoup sur la direction de RFI, sur Ahmed Abba, sans compter les pleurs de Yves Rocle, que nous aurions tant aimé voir en images. A l’aube d’une année nouvelle, cette libération semble chargée de symboles rassurants, pour notre Afrique, pour notre métier et pour notre radio.
Premier message, premier symbole, c’est le fait qu’un employeur (RFI, ici) puisse ne pas paniquer, ou être tenté d’abandonner un de ses collaborateurs, pris entre les tenailles d’une justice militaire, pour des accusations extrêmement graves… Mieux, après s’être assuré qu’il n’avait fait que son métier et rien d’illégal, l’avocat insiste sur la force de la présence à ses côtés.
Après coup, cela peut paraître si évident. Mais, sur le vif, on peut trembler et Ahmed Abba lui-même a dû trembler , en se voyant, menottes aux poignets et chaînes aux pieds, subitement accusé de faits aussi graves. Il fallait un certain sang-froid à l’employeur, pour trouver rapidement un bon avocat, s’assurer que l’employé n’a rien fait d’illégal, et rester à ses côtés jusqu’à ce que justice lui soit, en quelque sorte, rendue.
« Cette présence de RFI à ses côtés a été remarquable, extrêmement appréciée par la presse, mais aussi par le pouvoir, en fin de compte », dit l’avocat. Maître Tchoungang souligne que le statut de ce collaborateur pouvait laisser un employeur moins courageux estimer qu’il n’était pas obligé de prendre pour lui un risque aussi grand que celui d’affronter l’Etat. « RFI aurait pu l’abandonner », dit-il. Notre confrère a aussi surtout eu le soutien actif des journalistes camerounais, le soutien de Reporters sans frontières, de Committee to Protect Journalists, et même des prix.
Et l’avocat laisse entendre que la nature de son statut, dans le personnel de RFI, n’a pas joué…
Exactement ! Comme lorsqu’un bon médecin doit sauver la vie à un homme qui arrive dans son hôpital, il ne se soucie pas (ou ne devrait pas se soucier) de savoir s’il est ministre ou planton, le bon patron de presse, lorsqu’un de ses collaborateurs est dans une telle difficulté, ne cherche pas à savoir s’il est rédacteur-en-chef ou correspondant local.
Face à sa situation, tel qu’il est confronté à une justice qui peut lui confisquer tout le restant de sa vie, le bon patron n’a qu’une chose à faire, et Maître Tchoungang le dit si bien : d’abord, s’assurer qu’il ne faisait que son travail, et de manière honnête. Dès lors, le patron vole à son secours et, même si cela coûte cher, il le soutient, en première instance, puis, s’il le faut, en appel, ou en tout cas devant la juridiction de recours. C’est cette deuxième phase qui s’est achevée, jeudi 21 décembre, au grand soulagement de tous et de chacun.
L’avocat a aussi parlé des autorités…
Absolument. Il a laissé entendre qu’elles ont baissé la garde, ou en tout cas le ton, au fur et à mesure qu’il apparaissait évident que notre confrère avait été victime du zèle de personnes qui voulaient se faire bien voir de leur hiérarchie quelques individus en mal de reconnaissance, a-t-il dit. Il est vrai que l’on est dans un contexte de terrorisme, nous ne pouvons l’oublier.
Les personnes avec lesquelles Ahmed Abba a failli être confondu sont la version camerounaise de Boko Haram. Mais ce qui lui est arrivé peut aussi bien survenir dans un pays parfaitement en paix. Dans cette affaire, les journalistes camerounais auront appris à apprécier le devoir de solidarité qu’ils ont, les uns, vis-à-vis des autres.