RFI : Jean-Marc Tanguy, diriez-vous qu’entre John McCain qui ne plaisante pas en matière de défense et Donald Trump le torchon brûle aujourd’hui ?
Jean-Marc Tanguy : Clairement, le premier est un vétéran de la guerre du Vietnam et l’autre ce n’est pas du tout la même histoire militaire. Il y a un vrai fossé entre ces deux hommes politiques.
Que s’est-il passé exactement le 4 octobre, le sait-on ? Une enquête est en cours.
Ce qui n’est pas commun c’est que le FBI travaille sur cette enquête, ce qui n’arrive quand même pas souvent en matière militaire. Ça prouve à quel point l’affaire a pris une dimension politique mais également populaire aux Etats-Unis, où on sait que les Américains sont très patriotes. Ils perdent comme ça, d’un seul coup, quatre soldats d’élite dans un pays dont la plupart des Américains ne savent pas précisément le mettre sur une carte, pose évidemment question.
Les questions sont notamment : est-ce que les services des renseignements ont failli à leur tâche ? Pourquoi un soldat américain a-t-il été abandonné sur place pendant deux jours ? Les Nigériens et les Américains ont-ils été piégés ? Il y a beaucoup de questions, effectivement.
Je crois que la toute première c’est vraiment celle-là, parce qu’elle est quasi-passionnelle pour un Américain. Comment en fait un soldat américain a pu rester perdu pendant deux jours et qu’on le retrouve presque par hasard, grâce à des habitants de cette zone. Ça taraude, évidemment, l’Américain de base, mais aussi l’armée américaine, qui - on le sait -, n’a quand même pas pour tradition d’abandonner les siens.
Peut-on imaginer un voyage de Donald Trump en Afrique ?
Je ne suis pas sûr que Donald Trump soit très mûr pour ce genre de choses. Il a par ailleurs – il faut le rappeler aussi – d’autres chats à fouetter en Asie. J’attends de voir un petit peu ce que Donald Trump va réellement faire.
La politique africaine de Donald Trump va être en partie dévoilée par le voyage de Nikki Haley. Une petite phrase de Nikki Haley : « La générosité du peuple américain a ses limites ». Est-ce que l’aide américaine dorénavant sera conditionnée ?
C’est une attitude qui n’est pas du tout étonnante de la part des Etats-Unis qui calculent encore plus que les autres. Je vous renvoie à ce qui s’est passé il y a à peu de temps sur, par exemple, la subvention des Etats-Unis à l’Unesco. Je vois une forme d’analogie entre ce qui est dit par Nikki Haley et ce qu’a dit sous une forme – certes très différente, mais peut-être avec des intentions assez similaires – notre propre président Emmanuel Macron, quand il s’est déplacé à Gao, où il a quand même fait comprendre au gouvernement des pays africains, qu’en l’espèce, le dispositif Barkhane ne pouvait pas rester en l’état s’il n’y avait pas une évolution politique dans cette zone. Il faut maintenant démontrer qu’on bascule dans une ère de résultats et pas seulement dans une ère de palabres. Donc là aussi, on sent bien que tant à Paris qu’à Washington, on ne peut pas - à fonds perdus - investir dans cette zone.
Une remarque, j’allais dire que Nikki Haley n’est qu’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU. Elle n’est pas sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, par exemple. Malgré tout, c’est « la Madame Afrique » de Donald Trump.
Exactement. C’est en ce sens-là que le message ne doit pas être du tout pris à la légère, même si en effet, elle n’est ni sous-secrétaire, ni même secrétaire en titre. Non seulement les gouvernements de la zone concernée qu’elle va visiter doivent être attentifs au moindre mot et au positionnement des virgules, mais également tout le continent entier.
Un sénateur républicain, Lindsey Graham, a déclaré : « Nos règles d’engagement vont changer dans le cadre des opérations antiterroristes ». En clair : les soldats américains seraient autorisés à tirer les premiers, et ce, même sur de présumés terroristes.
Quelquefois c’est vrai qu’à longue distance ce n’est pas forcément de très grande différence avec un paisible berger. La résolution des capteurs ne permet pas toujours d’arriver à une authentification certaine. Donc là, manifestement, après ce qui s’est passé et sans doute sous le coup de la passion, les Américains sont en train de changer un petit peu de braquet. Ce qu’il faut évidemment espérer c’est que ça ne génèrera pas d’erreurs de tirs. On sait qu’il y a eu plusieurs dossiers de ce type en Afghanistan ou en Afrique ces dernières années et que c’est évidemment préjudiciable à l'action des forces occidentales qui sont engagées dans ces opérations.