Le chercheur Mathias Hounkpe revient sur la présidentielle au Liberia

Au Liberia, 20 candidats briguent la présidence mardi 10 octobre 2017. Cette élection marque le départ d'Ellen Johnson Sirleaf. Corruption endémique, classe politique décriée, et surtout réconciliation nationale en panne... Le bilan de Mme Sirleaf est très mitigé. Pour en parler, le chercheur Mathias Hounkpe est notre invité ce matin. Il répond aux questions de RFI.

RFI : Cette élection présidentielle marque la fin de douze ans d’Ellen Johnson Sirleaf à la tête du Liberia. Que peut-on retenir de ces douze années ?

Mathias Hounkpe : Pour moi l’élément fondamental c’est déjà qu’elle ait pu diriger le pays pendant douze ans dans la paix. Vous savez très bien que le pays sortait de crise et qu’elle était le premier président élu juste dans la phase post-crise. Et donc de ce point de vue, c’est notoire même si, elle va laisser le pays avec beaucoup de défis par rapport auxquels elle n’a pas pu vraiment faire avancer le pays. Par exemple, lorsque vous prenez les questions que ce soit de fourniture, d’électricité, la résolution des questions liées au système éducatif… Lorsque vous prenez par exemple la question de la corruption, elle-même a reconnu que ses résultats n’ont pas atteint les niveaux auxquels elle aurait souhaité amener son pays. Et donc, je pense qu’elle va laisser le pays avec beaucoup de défis à relever.

En 2005, Ellen Johnson Sirleaf avait promis de mettre fin à la corruption, mais vu les nombreux scandales qui ont jalonné son mandat on peut dire que c’est un échec.

Oui et je crois qu’elle-même l’a reconnu - comme je le disais - dans son discours devant les parlementaires – le dernier discours qu’elle a tenu en fin d’année dernière – que sur le plan de la corruption elle n’avait pas atteint les résultats qu’elle s’était fixés. Les indices de perception de la corruption de Transparency International montrent que globalement la position du Liberia n’a pas varié depuis pratiquement 2005 à aujourd’hui, que le pays est resté à peu près au même niveau en ce qui concerne le degré de corruption. Et vous pouvez ajouter à cela, par exemple, les données info baromètre qui montrent que l’impunité est un véritable problème au Liberia. Lorsque vous demandez aux citoyens au jour d’aujourd’hui ils sont plus de 70% qui pensent que lorsque les officiels qui gouvernent le pays enfreignent la loi, la plupart du temps, ils ne sont pas punis.

En 2009 la Commission vérité et réconciliation avait demandé de juger 98 personnes pour des faits de violation du droit international et des crimes de guerre commis pendant la guerre civile. Pourquoi est-on aujourd’hui au Liberia incapable de traduire ces responsables devant la justice ?

Je pense que le Liberia connaît une situation particulière où une fois que la guerre est terminée et qu’on a signé les accords de paix la plupart des acteurs qui étaient impliqués dans la crise sont revenus un peu comme des acteurs politiques de premier plan. Vous connaissez très bien les noms, il y en a qui sont devenus sénateurs, qui sont devenus parlementaires, il y en a même qui ont été candidats à la présidentielle. Vous savez que le rapport de la Commission vérité et réconciliation avait épinglé même madame Sirleaf elle-même. Donc je pense que l’un des obstacles qu’on a rencontrés avec la mise en œuvre des recommandations du rapport est que la plupart des acteurs qui étaient indexés sont restés d’une manière ou d’une autre encore dans la politique au Liberia. Et donc, ça a empêché la mise en œuvre et je pense que ça va hanter encore le pays pendant quelque temps, parce que ces acteurs se connaissent et s’identifient les uns les autres par rapport à la manière dont la politique doit se dérouler dans le pays à l’avenir.

Mais alors du coup, comment faire pour que cette réconciliation nationale puisse réellement avoir lieu ?

Je ne suis pas sûr que sur la base du rapport qui a été produit, on pourrait aller vraiment vers la réalisation de la réconciliation dans le pays. Je pense, de mon point de vue, qu’il appartiendra peut-être comme un défi majeur pour ceux qui gagneront les élections d’avoir à cœur d’unifier durablement les Libériens entre eux. Ça va être un grand défi pour celui qui sortira comme président de la République à l’issue des élections du 10 octobre.

Madame Sirleaf n’est pas parvenue à résoudre la question de la parité ainsi que d’autres problèmes liés au genre. Je pense notamment aux grossesses précoces ou encore aux violences faites aux femmes. Pourquoi a-t-elle échoué sur ces domaines-là ?

Je pense que madame Sirleaf a rencontré des difficultés énormes à d’autres niveaux. Les défis du Liberia sont énormes à presque tous les niveaux. Vous prenez le système éducatif. Vous prenez le système de santé. Vous prenez, par exemple, même les adductions d’eau. Le pays a tellement de difficultés, que je crois que madame Sirleaf n’a même pas eu le temps de s’occuper d’autres question qui sont un peu comme des questions qu’on ne perçoit pas comme du domaine du prioritaire. Vous vous imaginez qu’elle a été présidente pendant douze et elle n’a même pas pu inspirer beaucoup de femmes pour être candidates. Sur les vingt candidatures, il y a une seule femme aujourd’hui pour les élections présidentielles d’octobre 2017.

Vingt candidats se présentent à cette élection. Il y a parmi eux Joseph Boakai, l’actuel vice-président, ou encore GeorgeWeah, l’ancien joueur de football. Est-ce que tous ces candidats répondent aux préoccupations des Libériens ?

C’est très difficile à dire. Disons que lorsque vous les regardez, vous pouvez les apprécier par rapport à leurs expériences. Vous avez parmi eux des gens qui ont brillé dans les affaires, vous avez Boakai qui a une expérience de l’Etat parce qu’il a été vice-président pendant douze ans, vous avez GeorgeWeah qui a été sénateur depuis, je crois, cinq ou six ans. Et donc je pense qu’ils ont une connaissance du pays, mais je vous assure que les défis du pays sont énormes et je crois qu’ils auront vraiment des difficultés pour gérer le pays.

Partager :