Procès Habré: «le plus beau jour de ma vie» pour un ancien détenu tchadien

Pour l’ancien président tchadien Hissène Habré, le jugement est définitif : la Cour d’appel du tribunal spécial de Dakar l’a condamné hier à la prison à vie pour crimes contre l’humanité. Parmi les acteurs clés de ce procès, il y a l’ancien prisonnier tchadien Clément Abaïfouta, qui préside l’association des victimes des crimes du régime de Hissène Habré, et l’avocat américain Reed Brody, qui travaille aux côtés des victimes depuis 1999. En duplex de Dakar, ils répondent tous deux aux questions de RFI.

RFI : Clément Abaïfouta, comment avez-vous réagi à l’énoncé du verdict ?

Clément Abaïfouta : J’ai presque manqué de mots pour apprécier à sa juste valeur ce verdict. C’est pour moi l’ultime jour, le plus grand jour de ma vie.

Il y a eu déjà ce jugement en première instance au mois de mai 2016, mais vous restiez un petit peu sur vos gardes ?

CA. : Oui, parce que vous savez en Afrique, on ne sait jamais ce qui peut arriver au lendemain. Donc il fallait manifester sa joie, mais à 80% (rires). Désormais, les petits Hissène Habré qui traînent partout, nous allons les rattraper, du moins le droit va les rattraper.

Reed Brody, vous étiez inquiet aussi ces dernières semaines. Vous vous demandiez si le jugement d’appel ne pouvait pas inverser le jugement de première instance ?

Reed Brody : Non, pour moi les preuves étaient très solides quand même. Les documents, les instructions écrites à la main par Hissène Habré, les milliers de documents de la police politique, des personnes qu’il a lui-même envoyées en prison, qui l’ont vu en prison. Il n’y a pas des crimes mieux documentés en Afrique. On avait peut-être des préoccupations sur la question de la peine puisqu’il y avait des pressions, on le savait, pour que la peine soit diminuée. Mais en cour d’assises, il n’y a pas de raison pour que la cour d’appelchange ni la décision ni la peine.

Des pressions politiques, des pressions de chefs d’Etat ?

RB : On savait qu’il y avait des pressions sur le procureur. Le procureur qui en première instance avait requis la peine à perpétuité et en appel s’en était remis à la sagesse de la cour. Je pense que le droit a été dit. Si Hissène Habré ne mérite pas la perpétuité, dans le monde qui pourrait la mériter ?

Clément Abaïfouta, vous avez été déçu de voir qu’Hissène Habré a refusé d’être présent à l’audience à l’énoncé du verdict ?

CA : Non, moi je n’étais pas déçu. Dites-vous bien que le fait même que Hissène Habré soit porté comme un bébé, c’était pour nous déjà une victoire parce que le lion de l’Unir [Union nationale pour l'indépendance et la révolution] quand même, avoir Hissène Habré au tribunal, c’était déjà une victoire et ça remporte toute notre satisfaction.

Le régime d’Hissène Habré condamné, mais le régime de son successeur Idriss Déby suscite la controverse aujourd’hui. Ainsi mardi 25 avril, c’est une démarche sans précédent : cinq ambassadeurs en poste à Ndjamena lui ont demandé de libérer les militants de la société civile qui sont en prison. Est-ce que vous regrettez qu’on n’en parle pas plus ?

CA : Je le regrette vivement tout simplement parce que le Tchad est un pays qui se veut démocratique et il faudrait qu’il y est la liberté d’expression, il faudrait que les militants des droits de l’homme, les journalistes aient la liberté de faire librement leur travail. Mais lorsque pour une raison qui à mon sens n’est pas assez suffisante, on les arrête, on les met aux arrêts, c’est assez regrettable et je crois qu’on devrait amplement en parler.

Reed Brody, on salue le fait que ce procès d’un ancien dictateur africain ait eu lieu sur la terre africaine, mais en réalité est-ce que ce n’est pas une ONG occidentale, Human Rights Watch que vous dirigiez à l’époque qui est à l’origine de ce procès ? Est-ce que ce ne sont pas des fonds de l’Occident qui ont permis l’organisation de ce procès ?

RB : Non. Ce procès a été imaginé dans la tête d’un prisonnier, Souleymane Guenguen, qui au fond de sa cellule pendant que les gens mouraient autour de lui a juré que s’il sortait vivant, il allait travailler pour la justice. Les victimes comme Clément Abaïfouta en face de moi, comme les feus Samuel Togoto, Ismaël Hachim se sont rassemblées pour exiger justice. Ce n’est que dix ans après avec l’affaire Pinochet que les victimes ont été mises en contact avec nous, et comme bons militants on les a aidées. Mais c’est vraiment la ténacité et la persévérance des victimes qui ont créé les conditions politiques pour que leur dictateur soit jugé en Afrique, avec le financement de l’Union africaine, du Tchad et des pays occidentaux. Mais il ne faut pas chercher les procureurs, ils étaient Sénégalais, les juges sénégalais et africains, les avocats des victimes étaient tchadiens. Il ne faut pas toujours chercher le Blanc dedans. Je pense que c’est insulter le travail des victimes et le travail du tribunal que de toujours chercher le Blanc derrière quelque part. Moi, je suis fier d’avoir accompagné les victimes. Je suis fier du travail acharné que nous avons accompli avec Clément, avec Souleymane, avec Jacqueline. Cela fait 17 ans que l’on travaille ensemble. Et c’est une joie, une victoire partagée. Mais en premier lieu, ce sont des rescapés qui ont forgé cette histoire. D’ailleurs, cela s’est vu au tribunal. Il n’y a jamais eu un procès qui est autant le procès des victimes. Une rescapée esclave sexuelle qui dit : « Moi, je me sens forte et fière de témoigner là. Et ce monsieur qui voulait me chosifier, il doit m’écouter ». Et d’ailleurs, c’est le même qui nous a dit après au Tchad que pour elle, ce n’était pas important qu’il soit condamné, acquitté. Pour elle, l’important c’était de pouvoir lui dire en face, un secret qu’elle avait gardé pour elle-même pendant 25 ans.

Clément Abaïfouta, est-ce qu’il s’agit d’une justice de Blanc ?

CA : Je ne pense pas. Pour moi, le droit n’a pas de couleur. Que vous soyez Noir, Blanc, vous avez posé un acte négatif, vous êtes passible d’être jugé. Qu’on nous vienne pas nous distraire que c’est la justice des Blancs, que c’est la justice des Noirs. Pour moi, le droit frappe le Noir, le droit frappe le Blanc. Donc qu’on ne vienne pas me distraire.

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