« Chaque jour est une vie… travaillons à la beauté des choses… ». Notre ami s’en est allé et, depuis trois jours, les témoignages affluent de partout, saluant le talent de Laurent Sadoux. C’est largement mérité, dites-vous, pourquoi ?
Mon métier, mon univers, c’est la presse écrite. Je ne suis pas un homme de radio, mais, depuis ma tendre enfance, je suis un grand auditeur de la radio et, comme journaliste, j’ai appris à apprécier la radio et les grandes voix qui la font. Au point que je me surprends parfois à rêver d’une carrière d’historien du journal parlé, à la radio. Du journal parlé en langue française, bien entendu, par-delà les frontières, par-delà les continents, même si, lorsque j’étais enfant, c’est la BBC qui me réveillait, lorsque mon père, à l’aube, écoutait son journal, en anglais.
Avec une certaine vanité, je me permets même de classer les présentateurs de journal parlé. Ainsi ai-je décidé, dans ma petite tête, que le meilleur journal parlé, en français, en tout cas depuis que j’écoute la radio, c’est le journal de Patrice Bertin, à 19 heures, sur France Inter.
Patrice Bertin, champion toutes catégories, soit. Mais alors, qui vient en deuxième position ?
Il faut préciser que je n’ai aucune qualité à juger ainsi, et que je n’écoutais pas toutes les radios. Ou, plutôt, j’écoutais plusieurs radios, certaines pour le journal parlé, d’autres pour la revue de presse, d’autres encore pour les éditoriaux, et même, à une certaine époque, les chroniques sur les matières premières, de Jean-Louis Gombeaud. J’ai même ma radio du dimanche matin, pour les chants grégoriens, celle du dimanche soir pour le football. Et mon classement part des années 70 à ce jour. Je traverse les pays, les continents. Je mettrais donc deux journalistes en deuxième position des journaux parlés : un présentateur du journal de la mi-journée, sur Radio Cameroun, entre 1975 et 1976. Son journal se distinguait par son aptitude à transporter l’auditeur sur le théâtre de l’actualité, et cela se buvait comme un nectar. J’étais alors étudiant à l’Ecole supérieure internationale de journalisme, à l’Université de Yaoundé. Il s’appelait Jean-Claude Ottou. Je considère vraiment son journal comme un des meilleurs, et je le situerais au même niveau que Laurent Sadoux. J’ai aussi un petit faible pour un autre présentateur de RFI, que j’ai été agréablement surpris d’entendre rendre hommage, hier, à Laurent Sadoux : c’est Vincent Garrigues. Son journal, dans un tout autre registre, était une œuvre d’art, rythmée.
Je dresserais, volontiers, d’autres catégories, mais c’est assez, de se fâcher comme cela avec les camarades, pour aujourd’hui. L’on pourrait faire la même distinction chez les intervieweurs, les reporters, etc. Et j’admets que certains peuvent être tristes d’entendre rendre, ainsi, hommage à Laurent Sadoux. Mais, vous le savez, ce métier est cruel. Parce qu’il y a des présentateurs que l’on reconnaîtra toujours dans la rue ou dont on reconnaîtra la voix, mais qui demeureront quelconques, parce qu’ils n’auront, en rien, marqué les auditeurs. C’est, du reste, exactement la même cruauté que l’on observe en presse écrite, mon corps d’origine, si j’ose dire. Et j’ignore où, au fin fond de quels classements, d’autres me relèguent déjà.
Mais que saluez-vous, en particulier, chez Laurent Sadoux ?
En me déposant un jour à la Maison de la radio, un chauffeur de taxi, voyant l’enseigne lumineuse de RFI, m’a demandé si je connaissais Laurent Sadoux. Puis il m’a chargé de lui dire qu’en l’écoutant, chaque auditeur avait le sentiment qu’il lui parlait personnellement. La remarque était belle, et tellement juste ! Je la partage.
Lorsque, plus tard, j’ai croisé Laurent Sadoux et que je lui ai répété les propos du taximan, il a eu les larmes aux yeux.
Je me souviens lui avoir personnellement dit, un jour, que j’aurais aimé voir mon édito passer dans son journal. Il m’a dit qu’il recevait cela comme un immense compliment. C’en était un – et je le pensais sincèrement.
Dans ce métier de vaniteux, lorsque l’on met du sérieux et du cœur à faire son travail, on rêve toujours du meilleur écrin pour le présenter. Les journalistes sont une espèce susceptible, et vous pouvez facilement blesser certains égos, en faisant des compliments à d’autres. Voilà pourquoi, depuis hier, Charlotte Idrac est montée très haut dans mon estime. Car elle a su rendre à Laurent Sadoux un hommage merveilleux, dans un journal magistral, qui mériterait d’être gravé sur disque ou, en tout cas, dans un fichier numérique, pour que les auditeurs puissent le télécharger et le conserver. Car cet « Afrique midi » du vendredi 31 mars 2017 a été un chef d’œuvre d’émotion, de sensibilité et de vérité, un travail riche et complet. Et la présentatrice, qui est encore jeune, a su ne pas se laisser conditionner par la comparaison que l’on pourrait oser entre elle et son illustre prédécesseur, entre son journal et celui que l’on vante tant depuis trois jours. Il faut de la classe et beaucoup d’intelligence pour ne pas laisser de telles considérations brouiller l’hommage mérité que tous, nous devons à Laurent Sadoux.