A la Une: Bayrou rebat les cartes

Décidemment, cette campagne présidentielle est encore plus trépidante qu’une série télé à rebondissements. A chaque jour ou presque sa surprise. Et hier, on a eu droit à une double surprise : François Bayrou ne se lancera donc pas dans une 4e campagne présidentielle, contrairement à ce que bon nombre de commentateurs avisés (mais finalement pas tant que ça) avaient pronostiqué et, cerise sur le gâteau, le maire de Pau annonce faire alliance avec Emmanuel Macron.

Ce matin, les journaux sont à la fois surpris, désorientés mais aussi séduits, pour certains, car c’est une nouvelle voie politique qui s’ouvre désormais. « Dans cette présidentielle inédite, à tout instant, il se passe quelque chose, s’exclame L’Est Républicain. Nouveau coup de théâtre ! François Bayrou a pris tout le monde de court : il renonce, se fait la belle, et propose une alliance hors parti avec une offre à Emmanuel Macron ! Voici notre pays à un carrefour de son histoire politique. »
Et le journal de s’interroger : « la France sera-t-elle capable de construire une coalition comme l’Allemagne ou Israël ? Le tandem parviendra-t-il à s’affranchir du carcan de nos institutions qui, sous la Ve République, favorisent le bipartisme » ?

Coup fatal pour Fillon ?

Non, répond Le Figaro, Bayrou et Macron, c’est « l’alliance de deux faiblesses. Celle de Macron, prisonnier de ses ambiguïtés, dont la campagne commençait à piquer du nez. Celle de Bayrou, sans soutiens ni électeurs, qui court après son influence passée. Difficile de voir dans ce mariage politicien les fondements d’une offre politique nouvelle, estime le quotidien d’opposition. Comment ne pas y reconnaître le petit air de sauve-qui-peut et le refrain du "tout sauf Fillon" ».

Oui mais tout de même, pointent Les Echos, « François Bayrou vient porter un coup terrible à son principal adversaire, François Fillon, qui commençait juste à dépasser ses ennuis judiciaires. Bayrou et Macron font alliance, c’est une chose, mais ils la scellent sur la moralité, c’est-à-dire contre François Fillon. Les mots sont durs, s’exclame le quotidien économique. François Bayrou condamne les pratiques révélées dans le Penelopegate sans attendre les conclusions de la justice, et embarque tous ceux qui, à droite, acceptent de passer l’éponge en disant que "tout le monde fait ça". Il y a bien sûr de la rancœur dans la décision de François Bayrou, notent encore Les Echos, qui n’a pas aimé être cloué au pilori de la droite, dans la primaire, pour avoir voté Hollande en 2012. Mais il y a aussi de la conviction. Au fond, François Bayrou se sacrifie moins pour Emmanuel Macron que pour ses idées et son attachement de toujours à une conception morale de la politique. C’est pour cela qu’il fait mal… même s’il est encore trop tôt pour savoir si, pour François Fillon, ce mal sera fatal ».

Redoutable alliance ?

En attendant, « ce passage de témoins », comme le qualifie Libération « est une très bonne nouvelle pour les deux protagonistes. Même si cette annonce s’est surtout imposée par les risques qu’elle faisait courir à chacun en cas d’échec ». En effet, précise Libération, « seul, sans moyens financiers, François Bayrou aurait pu finir sa carrière sur l’élection présidentielle de trop. Depuis quelques semaines, le maire de Pau a eu le temps de mesurer la hauteur de cette vague du "sortez, les sortants", qui risquait de l’emporter lui aussi ».  Et puis, « après une semaine émaillée de polémiques, Emmanuel Macron trouve, lui, le moyen de relancer une campagne qui commençait à patiner. Il engrange un soutien de poids et écarte un concurrent dangereux. Sans pour autant donner l’impression de tomber dans une négociation d’appareils qui aurait pu le ramener à cette vieille politique qu’il dit abhorrer ». Et ce, soupire Libération, « juste au moment où, de son côté, Benoît Hamon ne parvient toujours pas à conclure son interminable négociation avec les écologistes ».

En fait, le calcul pour Bayrou était simple, relève Sud-Ouest, « l’envie n’était plus vraiment là. Mais surtout, la percée d’Emmanuel Macron, engagé dans une démarche similaire à la sienne, le privait de son oxygène politique. Puisqu’un autre que lui semble en meilleure posture pour réaliser ce qu’il a toujours prôné : dépasser le clivage droite-gauche, rénover la vie politique, (…) autant le rejoindre ! Cette alliance, si elle fonctionne, peut s’avérer redoutable, estime encore Sud-Ouest, pour gagner l’élection présidentielle et recomposer ensuite le paysage politique. Tout au moins Macron et Bayrou sont-ils partis pour faire "turbuler" le système ».

Balle au centre

Ouest France renchérit en parlant de « cadeau tombé du ciel pour l’ex-ministre de l’Économie. Bingo ! Pour se présidentialiser, Macron a besoin, premièrement, précise le journal, de structurer son projet, d’afficher des marqueurs que l’on attend toujours. Les conditions posées par Bayrou, et facilement acceptées, sur la transparence de la vie politique, sur l’embauche du premier salarié ou sur la proportionnelle, lui donnent de l’épaisseur. Et il a besoin, deuxièmement, de rassembler des personnalités fortes et diverses qui incarnent l’honnêteté, l’expérience, si possible un ancrage territorial et une légitimité tirée de leur parcours. Il en faudra d’autres, mais celle-ci est déterminante à un moment de flottement pour Emmanuel Macron. Mais, tempère Ouest France, il en faudra plus pour passer d’un front arithmétique contre le pire, à la coproduction d’un projet qui réponde aux énormes attentes des millions de déçus de la politique ».

Finalement, résument Les Dernières Nouvelles d’Alsace, « cette alliance modifie le paysage. Elle confirme l’éclatement du clivage droite-gauche. Balle au centre. […] Tactiquement parlant, Macron fait une bonne affaire. La jonction Macron-Bayrou dissout un peu plus le format bipolaire qui régissait nos traditions politiques. Aujourd’hui, Macron et Bayrou tentent de poser le socle d’une quatrième force ».

Alors, conclut La Croix, « s’il veut réussir, ce nouveau tandem va devoir faire campagne et la synthèse entre des personnalités au caractère assez trempé. Au-delà de l’affichage de ce qui rassemble, l’union sera un combat. Là comme ailleurs ». Enfin, L’Humanité fait entendre sa différence : attention, prévient le quotidien communiste, « le réveil serait terrible pour les Français si le prince charmant de la banque Rothschild franchissait les marches du palais de l’Élysée. Face à ce scénario, la nécessité d’un rassemblement de la gauche alternative ne peut plus être évacuée d’un revers de main ».

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