RFI : Francis Akindes, avec 167 sièges sur 255 la coalition RHDP frôle la majorité des deux tiers, c’est donc une belle victoire. Mais est-ce qu’Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié n’espéraient pas une victoire encore plus large ?
Francis Akindès : Certainement. Ils espéraient sûrement une victoire nettement plus large. Mais déjà l’objectif leur paraît atteint. Parce que c’est un taux honorable. Le taux de participation reste quand même très faible, il est de 34, 10 % seulement.
Ce taux de participation justement, il est inférieur de plus de deux points à celui de 2011, alors que cette année-là tout le FPI boycottait le scrutin. Quelle leçon faut-il en tirer ?
Je pense que la rupture du lien entre la classe politique, telle qu’on la connaît traditionnellement, génère de plus en plus un fort sentiment antisystème. Et ce sentiment se justifie par l’expression que l’on entend souvent d'une déception vis-à-vis des patrons des partis politiques et même de déception de la coalition des partis politiques.
Est-ce le même taux de participation dans le nord et dans le sud ?
Non. Dans le nord on sent une mobilisation plus importante. Et lorsqu’on part du nord vers le sud le taux de participation décroît. Et le sentiment antisystème dont je parle est beaucoup plus exprimé dans le sud que dans le nord.
Est-ce le signe que les appels au boycott lancés par le FPI tendance Laurent Gbagbo ont été entendus ?
Oh il y a plusieurs facteurs. Il y a bien d’autres considérations qui jouent, notamment à travers les candidatures frondeuses.
L’autre tendance du FPI, celle d’Affi N'Guessan a participé au scrutin mais n' gagné que trois sièges, est-ce qu’on peut parler d’échec ?
Ce parti vit une crise profonde en interne. Certainement que s’ils avaient trouvé un compromis il y aurait eu de bien meilleurs taux. Le fait d’avoir perdu le leader, celui qui inspirait ce mouvement, a joué considérablement. Parce ce que c’était Laurent Gbagbo qui donnait les mots d’ordre, qui traçait le sillon. Et du coup cette querelle de leadership entre Monsieur Sangaré et Monsieur Affi N'Guessan [nuit] à ce mouvement politique.
Est-ce que le fort taux d’abstention et le mauvais score de la tendance Affi Nguessan, tout cela réuni, ne renforce pas la tendance Sangaré contre la tendance Affi N'Guessan ?
La tendance Sangaré va se réjouir de ce qui arrive à la tendance Affi N'Guessan. Mais la crise est si profonde à l'intérieur de ce parti que, l’un dans l’autre, ce n’est pas favorable à leur parti.
La grande surprise de ce scrutin, Francis Akindès, c’est la percée des indépendants. Quels ont été pour vous les résultats les plus surprenants ?
D’abord, c’est la première fois qu’on voit un nombre aussi élevé de candidats indépendants ! Ça veut dire qu’il y a une tension au sein des appareils politiques et que les modes de désignation des candidats aux élections sont de moins en moins satisfaisants pour les militants.
Cela annonce également, selon moi, le début de la fin d’une ère politique. Parce qu’on est dans une espèce de mutation du marché politique. Aujourd’hui la tension est particulièrement vive au sein du RHDP parce que le RHDP commence à souffrir des faiblesses de ce qui a été sa force. Le RHDP est exposé à cette tension entre ceux qui au sein du RDR comme du PDCI n’ont jamais accepté cette alliance et sont en fronde permanente face à l’idée d’une coalition.
Et puis maintenant on a une tension entre ceux que certains estiment être des privilégiés et de l’autre ceux que les jeux d’alliance ont laissé sur le bas-côté et qui estiment justement n’avoir pas été récompensés pour leur engagement, surtout en période difficile.
Alors aujourd’hui, le spectre Gbagbo étant passé au bout de deux élections présidentielles, on est face au choc des intérêts jusque-là passé au second plan mais qui revient maintenant au premier plan. Nous sommes dans un environnement politique devenu très concurrentiel. Et c’est justement cet espace devenu plus concurrentiel qui favorise chez les patrons des partis un autoritarisme généralement mal vécu par les militants. Mais en même temps les militants sont de plus en plus nombreux et leurs attentes ne pouvant pas être satisfaites, vu que les positions à prendre ne sont pas indéfiniment extensibles, eh bien ça donne quoi ? La défection. Ils décident d’être indépendants. Et tout ça est très difficile aujourd’hui pour les leaders de ces mouvements. Je veux parler du RDR et du PDCI qui sont confrontés à la gestion de ces frondes. Et c’est aussi difficile pour les militants qui voient leurs perspectives de retour sur investissement politique s’éloigner ou devenir de plus en plus compétitif, alors qu’ils prennent de l’âge !
Et concrètement, la défaite à Daoukro – le fief d’Henri Konan Bédié – de son dauphin Niamien N'Goran face à l’indépendant Olivier Akoto, vous l’interprétez comment ?
Justement, Olivier Akoto est membre des instances du parti. Mais le choix du parti a porté sur quelqu’un d’autre. Il a [alors] profité du fait de sa maîtrise du terrain pour se présenter et il est passé. Mais j’attire votre attention tout de suite sur son discours après sa victoire. Il dédie sa victoire au président Bédié.
Alors est-ce qu’on va vers un mouvement indépendant qui va déboucher sur une fronde permanente à l’intérieur des partis ? Je ne le pense pas parce que le discours d’un autre indépendant à San-Pedro va dans le même sens. Donc ces indépendants ont conquis le pouvoir à la base, peut-être pour renégocier des positions à l’intérieur de leur mouvement politique. Mais je n’attends pas de cela une grande révolution.
Du côté des grandes figures du RHDP tout le monde est élu ou réélu, que ce soit Guillaume Soro, Hamed Bakayoko, Amadou Gon Coulibaly, Daniel Kablan Dunkan… Est-ce que cela nous en dit un peu plus sur qui sera le futur vice-président et le futur Premier-ministre de la Côte d’Ivoire ?
Forcément, on les a tous envoyés sur le terrain pour faire la preuve de leur capacité de mobilisation et le choix sera fait parmi ceux qui ont prouvé leur capacité à occuper le terrain. Maintenant qui sait ? Seule la transcendance peut le dire.