RFI : Didier Péclard, samedi dernier à Luanda c’est le ministre de la Défense João Lourenço qui a lancé officiellement la campagne du MPLA en vue des législatives. Si le MPLA gagne au mois d’août prochain est-ce que c’est lui qui va devenir président de l’Angola ?
Didier Péclard : Peut-être. On ne sait pas encore. C’est-à-dire que depuis une quinzaine de jours maintenant, circulent un certain nombre de bruits et documents même, selon lesquels José Eduardo dos Santos ne se représenterait pas en 2017 et laisserait en fait la direction du MPLA à João Lourenço qui est à la fois ministre de la Défense actuellement et qui a été nommé vice-président du MPLA lors d’un congrès au mois d’août. Mais même s’il y a des rumeurs insistantes, même si on a effectivement une liste avec les trois nouvelles têtes de liste du MPLA qui circule, il n’y a eu aucune confirmation officielle dans l’appareil d’Etat.
Comment expliquez-vous l’absence du président dos Santos à cette cérémonie de samedi dernier ?
Il y a plusieurs hypothèses. La plus probable c’est que si son retrait se confirme ce soit avant tout pour des raisons de santé. C’est une possibilité. Ou alors c’est une manière de laisser la place à celui qui serait son successeur. Mais je crois qu’on reste encore dans le champ de l’hypothèse actuellement.
On sait peu de choses de João Lourenço, sinon qu’il est ministre de la Défense et qu’il a 62 ans. Pourquoi a-t-il pris le dessus sur les hommes forts du régime, comme le chef de la maison militaire, le général Kopelipa ?
Tout d’abord il faut voir que João Lourenço est quand même un des hommes du régime. Mais il faut aussi faire un tout petit détour par le fonctionnement du régime lui-même. Donc vous avez une présidence très forte autour du président José Eduardo dos Santos et autour de lui un premier cercle de fidèles. Le général Kopelipa en tant que super ministre de la Défense dans la maison militaire - la Casa Militar - en est un. Carlos Feijó, qui est le chef de la Maison Civile en est un autre.
Il y a, comme ça, un certain nombre de personnes clés autour de dos Santos, mais dont la fonction est d’être plutôt des personnages de la semi-ombre, de la pénombre. En même temps, João Lourenço est une personnalité importante du régime - surtout du parti - depuis un certain nombre d’années. Il était secrétaire général du parti dans les années 90 et il est ministre de la Défense. Ce qui est intéressant aussi à propos de João Lourenço c’est qu’il est passé en fait par quelques années de purgatoire politique, dans la mesure où dans la fin des années 90, à un moment où des premières rumeurs avaient couru autour de l’état de santé de dos Santos d’un éventuel retrait de la présidence, João Lourenço avait été un de ceux qui avaient montré des ambitions très claires. Ça lui avait coûté assez cher parce qu’il a été vraiment écarté du régime pendant un certain nombre d’années et il est revenu en fait en 2010 comme ministre de la Défense et puis surtout cette année comme vice-président.
Ce n’est pas un vétéran de la guerre contre les Portugais, est-ce à dire que c’est une nouvelle génération qui va prendre le pouvoir ?
Forcément. Je dirais par la force des choses, la force biologique des choses, effectivement il va y avoir un changement de génération. En même temps, avec une personnalité comme João Lourenço on n’attend aucun changement majeur dans la politique du MPLA et du gouvernement angolais. C’est plutôt quelqu’un qui représente vraiment la continuité au sein du parti. C’est quelqu’un aussi qui en tant que ministre de la Défense a évidemment des liens avec l’appareil militaire. C’est vraiment - si ce changement se confirme - un changement dans la continuité.
Quand José Eduardo dos Santos a nommé sa fille Isabel à la tête de la Sonangol, la Compagnie nationale du pétrole - c’était il y a six mois - on s’est dit : on va vers une solution dynastique.
C’est effectivement une hypothèse qui a été articulée à ce moment-là. Personnellement, je n’y ai pas vraiment cru et je continue à ne pas y croire. Je ne crois pas tout d’abord qu’Isabel dos Santos elle-même - je doute - qu’elle soit vraiment intéressée. C’est avant tout une femme d’affaires. Et en plus, évidemment, en étant à la tête de Sonangol qui est le poumon financier du régime, elle reste aussi dans une fonction qui est politiquement très importante, mais plutôt comme un personnage - encore une fois - de la pénombre, comme une des personnalités clés du régime, sans être à la tête. Donc je ne pense pas que la tentation dynastique soit forte.
Oui, mais elle a un frère : José Filomeno !
Il y a José Filomeno dos Santos, qui est effectivement à la tête du fonds souverain. Donc la famille est à un certain nombre de postes clés, ce qui lui permet de continuer à avoir un certain contrôle sur le régime, sans être officiellement président, vice-président, ou avoir une fonction politique directe.
Est-ce que le président dos Santos a tenté d’imposer son fils pour lui succéder et est-ce que les hommes forts du MPLA ont bloqué ?
C’est très difficile à dire s’il a véritablement tenté. Ce qui semble en revanche être le cas c’est que la nomination d’Isabel dos Santos à la tête de la Sonangol a déplu à un certain nombre de personnes au sein de l’establishment. Ça a créé un certain nombre de mécontents au sein de l’appareil d’Etat. On peut aussi éventuellement émettre l’hypothèse que cette liste qui a circulé - avec João Lourenço qui serait le nouveau président du MPLA - que cette liste ait aussi été circulée par des mécontents au sein du MPLA, qui comme ça, essaieraient de pousser le président vers la sortie.
Et si João Lourenço prend le pouvoir, il devra le partager avec le clan dos Santos ?
Oui, je pense qu’il devra trouver des aménagements, effectivement. Soit il sera le candidat de la continuité et ce n’est pas lui qui sera véritablement aux commandes, mais les autres, soit un bon stratège et arrivera d’une manière ou d’une autre à imposer sa ligne.
Est-ce que le MPLA est sûr de gagner au mois d’août prochain ou est-ce que l’Unita a une chance ?
Actuellement je vois mal comment un autre parti que le MPLA pourrait gagner.
Malgré la crise pétrolière ?
Malgré la crise pétrolière, malgré l’immense mécontentement de la population, en tant qu’appareil politique, en tant que porteur d’une certaine légitimité historique, le MPLA reste dominant. Et en plus il faut voir aussi si la campagne va être véritablement libre. Les élections de 2008 et 2012 ce n’était vraiment pas le cas. Donc pour l’instant c’est difficile d’envisager que le MPLA ne gagne pas.