La Turquie a-t-elle besoin de l’Europe ?

Pour protester contre la dérive autoritaire du président Erdogan le Parlement européen s’apprête à voter ce jeudi 24 novembre en faveur de la suspension du processus d’adhésion de la Turquie. La Turquie a-t-elle toujours besoin de rejoindre l’Europe pour assurer sa prospérité ?

Pas vraiment si l’on en croit les récentes déclarations du président turc. Il envisage de rapprocher son pays de l’Asie. Sur le plan économique, les liens entre Ankara et l’Union européenne sont solides, mais l’Europe n’est plus le premier débouché des exportations turques comme c’était le cas quand le processus d’adhésion a démarré il y a onze ans, souligne Ludovic Subran, le chef économiste de Euler Hermes.

Au début de la décennie, Ankara a renversé la table, en se tournant vers le Moyen-Orient qui a aujourd’hui supplanté l’Europe à la première place. Les rodomontades du président turc sur un basculement à l’Est sont donc fondées sur des relations économiques de plus en plus florissantes. Vers ses voisins immédiats, Iran, Irak, Russie, et aussi vers l’Afrique. 

Cela veut dire qu’en termes économiques, la Turquie peut se passer de l’Europe ?

Pas encore. D’abord parce que les capitaux qui rentrent pour financer son développement   son futur troisième aéroport, les centrales nucléaires en projet, sont toujours majoritairement européens. Ensuite, parce que ce pays touristique ne peut pas vraiment se permettre une crise diplomatique avec un tel gisement de visiteurs à ses portes.

Le terrorisme, plus le coup de froid avec la Russie ont divisé de moitié le nombre des visiteurs. Et les Russes ne sont toujours pas revenus malgré la réconciliation entre Vladimir Poutine et Recep Erdogan. La débâcle du tourisme démontre à quel point la présence des Européens demeure vitale pour ce secteur-clé de l’économie.

L’Europe de son côté a-t-elle besoin de la Turquie ?

Dans plusieurs industries, la chimie, la construction, l’automobile,   le premier pourvoyeur des exportations turques, les liens entre les deux zones sont importants et gagnants gagnants, avec la présence en Turquie de nombreux groupes européens.

Sur le plan commercial pur, l’Union européenne est en position de force, elle est largement excédentaire et elle a tout intérêt à conserver des relations dynamiques et sereines avec cet importateur net, selon Ludovic Subran. Étant donné les nuages qui s’amoncellent sur son commerce extérieur : avec les sanctions contre la Russie qui la pénalise à l’Est et les incertitudes liées au Brexit sur son flanc ouest.

Le durcissement du régime que le Parlement européen veut condamner est néfaste pour la démocratie comme pour l’économie turque ?

Les expropriations, les purges dans les milieux économiques et financiers ont sapé la confiance des investisseurs ; ils sont en mode pause depuis cet été. L’économie turque déjà meurtrie par le terrorisme, fragilisée par la guerre syrienne à proximité, est un peu plus affaiblie aujourd’hui.

La prodigieuse croissance des années passées décélère à vive allure. Le FMI table au mieux sur 3 % pour l’an prochain, c’est bien en dessous de l’objectif officiel d’Ankara. Mais le tout puissant président Erdogan a encore des réserves pour doper l’activité de son pays : après le coup d’État du mois de juillet contre toute attente la croissance s’est maintenue, grâce au levier dépenses publiques.

 

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