RFI : Cette conférence a été annoncée comme la « COP de l’action ». Est-ce que cette promesse a été tenue ?
Maria Helena Semedo : Je crois que tous les pays qui sont venus à la COP, tous les pays qui se sont exprimés, parlent de l’action. Il faut arrêter les paroles et tenir les engagements.
Mais est-ce qu’ils passent à l’action ?
Je pense que oui. Vous avez à l’agriculture, par exemple, le Maroc a présenté le plan d’adaptation pour l’agriculture africaine, la FAO a présenté une initiative pour la rareté de l’eau. On a eu des initiatives sur les océans, des pays qui ont fait des annonces aussi, des fonds additionnels pour le climat. Et je pense que si on va dans la mise en œuvre de ces initiatives, on peut avoir du concret. Et là, à mon avis, c’est l’action.
Comme à Paris, pourtant, l’an dernier, l’agriculture a été la grande perdante de ces négociations puisque le sujet a été remis à plus tard. Est-ce que vous, vous n’êtes pas trop déçue ?
Oui et non. Non parce que pour la première fois, à mon avis, l’agriculture a été discutée. Malheureusement entre les pays moins développés et les pays développés, le Nord et le Sud, si on peut le dire, ils n’ont pas pu arriver à un consensus. Mais à mon avis, si avant ce n’était pas clair de mettre l’agriculture sur la table, parce que l’agriculture était vue comme une menace, maintenant l’agriculture est reconnue comme une partie de la solution, c’est déjà une grande avancée, la nécessité d’adaptation pour l’agriculture. Et aussi que les petits paysans, les petits producteurs agricoles, il faut les aider à l’adaptation. Pour tout ça, je suis contente et je pense que l’on a fait une avancée. Il reste encore beaucoup à faire.
Est-ce qu’on peut chiffrer l’impact du changement climatique sur les rendements agricoles sur le continent africain ?
On n’a pas les chiffres, mais ce que je peux vous dire, c’est que si on ne prend pas une action sur le climat maintenant, les études qu’a faites la FAO, on aura en 2030, 125 millions de personnes de plus qui seront dans la pauvreté, dans l’insécurité alimentaire.
Parce qu’en Afrique, 70% des populations dépendent directement de leurs cultures pour survivre ?
Ce sont les plus affectés par les changements climatiques parce que si vous voyez, ils ont beaucoup plus de sécheresse, ils ont beaucoup plus d’inondations, ils sont les moins résilients aux climats parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’adapter dont l’importance du Fonds vert et d’autres fonds pour réellement financer l’agriculture africaine.
Est-ce que vous avez le sentiment que les pays du Nord sous-estiment peut-être l’impact sur la sécurité aussi de la question agricole ?
De plus en plus, on discute le lien entre la sécurité, la paix et la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, j’étais dans une réunion où il y avait le ministre Le Foll qui disait « sans sécurité alimentaire, on n’a pas la sécurité dans le monde ». Et on voit que, maintenant que l’on parle de migration, plusieurs migrants quittent leur pays parce qu’ils n’ont pas de quoi manger, parce qu’ils n’ont pas de revenu qu’ils peuvent retirer de l’agriculture, ils sont obligés peut-être même à être dans les guerres. Et à mon avis, si on a la sécurité alimentaire, on pourra avoir plus de sécurité et plus de paix dans le monde.
Pourtant on a le sentiment que des solutions existent. Quelles sont les solutions qui marchent ? Est-ce qu’il faut changer de cultures ? Est-ce qu’il faut cultiver plus ?
Il y a tout. Par exemple, vous voyez, quand on a un problème de rareté de l’eau, on n’a pas la pluie, on a la sécheresse, on a des semences à cycle plus court. On a par exemple des solutions comme l’agroécologie, ou au lieu d’utiliser des engrais chimiques on utilise les compostages. On utilise des solutions qui ont déjà montré qu’elles peuvent augmenter la production et la productivité. On a des techniques où on peut améliorer la fertilité du sol. On a, par exemple, des techniques anciennes, mais qu’on peut utiliser, et avec lesquelles on utilise moins d’eau et on peut avoir une meilleure production agricole. Et je pense qu’à la FAO, on a des solutions que l’on ont déjà montré dans le Nord, en Asie, en Afrique. On peut faire ces échanges de connaissances entre les différents paysans, dans différentes régions, et c’est ça le message qu’on a amené à cette COP. On a des solutions, il faut amener ces solutions. Il faut amener ces expériences à la portée de ces petits paysans agricoles. On ne peut pas venir avec des solutions des grands producteurs aux petits paysans. Il faut qu’on amène des solutions acceptables, des solutions qui peuvent être intégrées pour les petits paysans et qui puissent être aussi dans leur culture pour mieux produire.