COP22 : la récupération, c’est tout un art

Invité à la COP22 de Marrakech par le ministre marocain de l’Environnement, le sculpteur Nordine Znati expose ses œuvres tout au long de l’allée centrale où déambulent chaque jour des milliers de participants à la Conférence sur le climat. Composées uniquement à partir de pièces de motos et de voitures usagées, ses sculptures ont toutes un message à faire passer. Rencontre.

De notre envoyé spécial à Marrakech

C’est l’une des attractions de cette COP22 : une parade de petites sculptures, 50 cm de haut à peine, qui jalonnent l’interminable allée centrale de la zone bleue, celle où officiels et journalistes venus du monde entier se mélangent dans un trépidant chassé-croisé qui n’est parfois pas sans rappeler celui de la station de métro Châtelet en semaine aux heures de pointe, les murs de faïence en moins, le soleil marocain en plus. Les moins pressés des visiteurs, il y en a quand même quelques-uns, prennent le temps de contempler ces œuvres originales exposées le long de la canopée entre tentes éphémères et végétation temporaire.

Chacune d’entre elles comporte un message en forme d’avertissement sur les dangers qui menacent sinon l’avenir de la planète, du moins celui des espèces vivantes, humains compris. Clin d’œil de circonstance : chaque sculpture provient de pots d’échappement et autres objets divers récupérés dans des casses automobiles par l’auteur. Il se nomme Nordine Znati, un Marocain à dreadlocks venu de Casablanca qui s’est découvert une vocation de sculpteur il y a maintenant une petite dizaine d’années et marche désormais dans les pas de Marcel Duchamp, l’inventeur, au début du XXe siècle, de la récupération dans l’art.

Le déclic dans un catalogue

« L’idée m’est venue vers 2007-2008 lorsque j’ai trouvé par hasard un catalogue créé par un collectif d’artistes du Mozambique qui transformaient les armes en œuvres d’art » nous confie Nordine, appuyé sur des béquilles, souvenirs d’une mauvaise chute. « Comme je n’avais pas d’armes, poursuit-il, je me suis dit qu’il fallait que je trouve un autre élément à transformer. Et puis un jour en me promenant dans Casablanca, j’ai vu des pots d’échappement exposés chez des réparateurs et ça a été le déclic ! Ça ressemblait vraiment à une exposition ! ». A partir de ce moment-là, Nordine a commencé acheter des pièces et à les stocker chez lui, sans trop encore savoir ce qu’il allait en faire.

Le deuxième déclic est survenu en 2009, lorsqu’il a été invité à la première édition de la FIAC (Foire internationale des arts contemporains) de Casablanca, où il était parrainé par une agence de communication locale. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire mes premières sculptures à partir de pots d’échappement, pour parler vraiment du réchauffement climatique. J’ai commencé par une première sculpture, une deuxième, j’en ai d’abord exposé quinze et, à présent, j’en suis à cent-vingt». Cent-vingt parmi lesquelles seulement vingt-cinq sont exposées à la COP22 : un ibis qui court à travers le désert, un cormoran pris au piège par une nappe de pétrole, un pélican qui ne veut pas qu’on touche à ses poissons, une infirmière qui soigne un globe terrestre malade. Mais parmi les vingt-cinq, il y a une qui a la préférence de Nordine et c’est la plus récente : un aigle qui piétine un morceau d’oléoduc avec ce message à première vue sibyllin : #NODAPL water not petrol.

Renseignement pris, le hashtag #NODAPL fait référence à No Dakota Pipeline suivi d’un slogan que les anglophiles auront compris : de l’eau et pas du pétrole. « C’est pour soutenir le combat des Sioux qui se battent en ce moment contre la construction d’un oléoduc à Standing Rock dans le Dakota du Nord », explique Nordine à propos d’un combat que nous avons également évoqué à plusieurs reprises à RFI. « Sur Facebook, continue-t-il, j’ai un ami amérindien qui est là-bas et qui met en ce moment des photos en ligne sur ce problème ». Touché par ce mouvement de protestation, Nordine a voulu interpeller en premier lieu les Américains de passage à la COP22. « Cette sculpture, décrit-il, représente un aigle. C’est à la fois l’emblème des Etats-Unis et des Indiens, un aigle qui met sa serre sur le pipeline pour s’y opposer ».

Un jour dans un musée ?

Le corps de cet aigle contestataire est fait à partir d’un pot d’échappement de scooter, sa queue est en fil de fer barbelé, ses pattes viennent des béquilles d’une Motobécane, sa tête provient d’une poignée de scie à métaux, « quant au pipeline, précise Nordine, c’est un bout de tuyau en PVC que j’ai trouvé chez mon père qui, lui aussi, est récupérateur ». « Avant, se souvient le sculpteur, j’avais une charrette et un petit âne à Casablanca. Dans tous ces objets que l’on récupérait, je voyais des pièces d’art, pas des pièces de récup’. C’est comme ça qu’est venue ma vocation. Mais j’ai du mal à faire des œuvres décoratives, je préfère qu’elles fassent passer un message ».

Pour gagner sa vie, Nordine crée des motos à partir de pièces de récupération. Il s’agit de modèles originaux destinés au marché américain comme des choppers ou des Harley Davidson customisées et d’autres plutôt réservées au marché anglais que l’on appelle des café racers, une café racer étant « une moto qui a été modifiée pour la vitesse et la maniabilité au détriment du confort », nous apprend, fort à propos, le salutaire Wikipédia. Invité à la COP22 par le ministère marocain de l’Environnement, Nordine aimerait bien renouveler l’expérience afin de donner de l’élan à son projet : une exposition itinérante à travers tout le Maroc pour sensibiliser les populations aux changements climatiques. Et comme ses œuvres ne sont pas à vendre, l’artiste a un autre rêve : que ses sculptures finissent un jour dans un musée de l’Environnement. « C’est ça, mon grand but » conclut-il, dans un sourire.

 

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