Destruction des mausolées de Tombouctou: un des gardiens se souvient

C'est un témoin hors norme que nous recevons aujourd'hui. Alpha San Chirfi a vécu l'arrivée des jihadistes à Tombouctou au Mali. En 2012, il voit le mausolée qu'il garde, lui et sa famille, détruit. Il nous raconte ce qu'il a vu.

RFI: Alpha San Chirfi, vous êtes de Tombouctou, vous avez grandi là-bas. Vous et votre famille gardez depuis des années un des mausolée qui a été détruit pendant les évènements, le mausolée Alpha Moya. Est-ce que vous vous souvenez de la vie pendant l'occupation de la ville par les jihadistes ?

Alpha San Chirfi : Dès le début, on avait des appréhensions. Ils ont apporté une idéologie nouvelle. Tombouctou a toujours été caractérisé par un islam tolérant. Mais eux avaient un autre discours, ils passaient le temps à prêcher : « ceci n'est pas bien, ceci n'est pas faisable... » Donc on voyait vraiment une menace par rapport à ce que nous avions comme conception de l'islam et comme convictions.

Pouvez-vous nous raconter quel a été le signal, quand a été donné l'ordre de détruire les mausolées ?

En fait, il y a eu une prêche un vendredi. Ils parlaient d'idolâterie, de mausolées qui étaient interdits, ceci cela. Et le lendemain le samedi, ils sont passés au niveau de certains mausolées, qu'ils n'ont pas tout de suite cassés, mais ils ont brisé les portes et détruit ce qui il y avait à l'intérieur. Mais la semaine d'après, ils sont revenus pour casser les mausolées.

Quelle a été la réaction de la population et votre réaction quand vous avez vu ça ?

Nous étions vraiment sidérés, mais nous avons gardé notre calme parce que nous nous sommes dit qu'en fait, le mausolée n'est qu'un symbole et qu'un symbole ne peut pas être détruit. Quand tu détruis un symbole, il devient encore plus fort. Leur intention première c'était de choquer. Dans leur entendement, on vénérait le saint. Alors qu'il n'en est rien. Donc, ils se sont dit : « si on s'attaque aux saints, les populations vont réagir et ce sera l'occasion de sévir ». Mais les gens sont restés là, impassibles.

Qu'est ce que vous avez ressenti quand vous avez vu votre mausolée et les autres se faire détruire par les jihadistes ?

Les gens étaient vraiment peinés, touchés, mais ils ont encaissé. C'est vraiment un sentiment de grande frustration, sentiment d'impuissance. C'était une façon de nous narguer, de nous toucher.

Vous vous souvenez d'Al Faqi ?

Oui, je me souviens de lui, il était très actif. Il était parmi le groupe de ceux qui détruisaient les mausolées. À chaque destruction on était là, on les voyait.

Avez-vous vu Al Faqi autour de ces groupes ?

Oui, il était là.

Qu'est ce qu'il faisait ?

Il faisait partie de ceux qui détruisaient.

Et avant ces évènements, vous connaissiez Ahmad Al Faqi Al Mahdi ou pas du tout ?

Al Faqi, avant l'arrivée des jihadistes c'était un simple professeur d'arabe. Et puis on l'a vu arriver avec ce groupe en tant qu'idéologue, en train de véhiculer une autre philosophie.

Ce procès, on l'a dit, est historique et inédit, c'est la première fois que quelqu'un doit répondre à ce chef d'accusation, première fois également que l'accusé plaide coupable. Qu'est-ce ça représente pour vous ?

Pour moi ça représente quelque chose d'important, c'est une preuve que l'impunité n'existe pas. Même s'il y a eu des crimes plus graves, qu'il s'assume, c'est important. Ça m'inspire quand même de l'espoir. À mon sens c'est un premier pas franchi.

Si vous étiez au procès aujourd'hui, qu'est ce que vous auriez envie de dire à Al Faqi, ou aux personnes présentes là bas ?

J'aurai envie d'exprimer mon indignation face à cet acte injustifiable. Ce que la plupart des gens ignorent, c'est qu'on a pas délibérément construit des mausolées sur les saints. Non, la plupart des saints sont enterrés dans une chambre de leur maison. Tout simplement.

C'est ce genre de chose que vous auriez envie de dire ? De replacer la vérité historique ?

Exactement. Les jihadistes, c'est ça leur combat ; et c'est ce qui nous a amenés à avoir peur pour les manuscrits aussi. Parce que dans les manuscrits il y a des vérités qui les contredisent. Leur objectif c'est de détruire tout ça, et de falsifier les documents. Si on se plonge dans l'histoire, il y a toujours cette volonté de falsifier l'histoire à son avantage.

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