RFI: Dans votre livre vous expliquez comment, aujourd’hui, l’Afrique du Sud est perçue, par ses voisins, comme arrogante, néocolonialiste et de plus en plus isolée. Comment expliquez-vous un tel désamour ?
Liesl Louw-Vaudran: Les Sud-Africains pensent que l’Afrique du Sud est aimée partout, sur le continent, et surtout les hommes d’affaires sud-africains qui font toujours beaucoup de buisines. L’Afrique du Sud est en effet un des premiers investisseurs sur le continent. Mais en même temps, les Sud-Africains arrivent souvent avec une arrogance et une ignorance de la situation politique de ces pays, ce qui fait que, petit à petit, il y a eu une réaction contre les Sud-africains.
Cette situation s’est aggravée avec la violence xénophobe contre les Africains résidant en Afrique du Sud. Il y a une perception selon laquelle le gouvernement sud-africain ne fait pas assez pour protéger les citoyens de la RDC, du Sénégal ou encore de la Somalie qui travaillent et qui vivent en Afrique du Sud.
Nous avons assisté, effectivement, en 2015, à plusieurs semaines de violences xénophobes. Est-ce que ce sentiment de la part des voisins africains est justifié ? Est-ce que c’est une réalité, aujourd’hui, en Afrique du Sud ?
Il y a eu deux grandes vagues de violences, avec beaucoup de morts, en 2008 et en 2015. Aujourd’hui, au quotidien, beaucoup d’Africains vivant en Afrique du Sud vivent une situation très difficile. Ils sont souvent harcelés par la police, même lorsqu’ils sont en règle et qu’ils ont leurs documents. Les Ethiopiens ou encore les Somaliens sont menacés dans leur vie de tous les jours. C’est vrai que le gouvernement sud-africain a essayé, ces derniers mois, de faire un pas vers les communautés et les associations de migrants mais ce n’est vraiment pas assez et le cœur n’y est pas.
D’autant plus que l’Afrique du Sud, vous l’expliquez bien, avait suscité beaucoup d’espoirs et d’attentes de la part des pays qui l’avaient soutenue pendant la lutte contre l’apartheid.
Absolument. Quand Nelson Mandela est venu au pouvoir, en 1994, il y avait une attente. On se disait alors que l’Afrique du Sud allait repayer sa dette et aider au développement du reste du continent. On s’attendait à ce qu’elle joue un rôle de médiateur dans les conflits, etc…
Il est vrai qu’au départ, Mandela était une figure très importante et que par conséquent, il pouvait peser. On l’a vu par exemple au Burundi. En RDC, on se souvient de son image entre Kabila et Mobutu, en 1997. Mais petit à petit et, surtout ces dernières années, sous Jacob Zuma, l’Afrique du Sud a déçu.
Pourquoi est-ce que l’Afrique du Sud, finalement, n’intervient plus directement dans les conflits, si on prend l’exemple du Burundi ?
Oui, c’est une très bonne question parce qu’historiquement l’Afrique du Sud a été le premier pays à s’impliquer pour la paix au Burundi. En 2003, il y avait 1 200 soldats sud-africains dans le pays. Aussi, lorsque l’année dernière il y a eu des discussions au sein de l’Union africaine sur une nouvelle force d’intervention au Burundi, on s’est demandé pourquoi pas les Sud-Africains.
Cela ne s’est pas fait pour plusieurs raisons. Je crois que militairement l’Afrique du Sud n’a plus les moyens. Le pays n’a pas investi dans son armée depuis les deux dernières décennies. Ensuite, la volonté politique n’y est vraiment pas. Le président Jacob Zuma n’a pas montré le même leadership que Thabo Mbeki et Mandela avant lui. Et par ailleurs, il y a une crise politique, un affaiblissement du parti au pouvoir. L’Afrique du Sud se focalise donc beaucoup plus sur ses problèmes internes.
Pensez-vous que l’Afrique du Sud peut retrouver sa superbe sans tendre la main à ses voisins africains sur le continent ?
L’Afrique du Sud peut retrouver sa stature au sein de l’Union africaine si les choses changent. Il faudrait peut-être une prise de conscience pour créer davantage de relations entre l’Afrique du Sud et les autres grandes puissances. Dans le temps de l’ancien président Thabo Mbeki, il y avait un vrai partenariat entre l’Afrique du Sud et le Nigeria, l’Algérie et, dans une certaine mesure, le Sénégal. Cela n’existe plus aujourd’hui. Si l’Afrique du Sud peut travailler ensemble avec d’autres grandes puissances sur le continent, peut vraiment faire avancer des choses.