Soumeylou Boubèye Maïga: contre Boko Haram, la «politique sociale» prolonge l’action armée

Dimanche 14 août 2016, Boko Haram a diffusé une nouvelle vidéo de jeunes filles présentées comme des lycéennes enlevées en avril 2014 dans le nord-est du Nigeria et a réclamé la libération de combattants emprisonnés. Par ailleurs, à travers deux enregistrements audio, Aboubakar Shekau, que l'on croyait blessé voire mort, s'est manifesté aux cours des derniers jours pour contester la désignation par l'Etat islamique d'Abou Moussab al Barnawi comme le nouveau chef du mouvement. De Libye au Nigéria jusqu'en Somalie, le terrorisme est-il en passe de devenir un défi majeur pour l'Afrique ? RFI reçoit Soumeylou Boubèye Maïga. Au Mali, il a été ministre de la Défense. Aujourd’hui, à l’Union africaine, il est expert sur les questions de terrorisme et d’extrémisme violent.

RFI : La division de Boko Haram fait-elle l’affaire de la force d’intervention multinationale ?

Soumeylou Boubèye Maïga : Je ne pense pas. Cela pose des problèmes au moins à trois niveaux. D’abord pour la force internationale, il est évident que ça peut accroître la multiplication des foyers, puis la multiplication aussi des attaques de type asymétrique pour lesquelles elle a énormément de difficultés. Pour le Nigeria lui-même, ça vient s’ajouter aux divisions déjà constatées pour d’autres milices comme on le voit dans la région du Delta où il y a déjà une dizaine de groupes ; puis pour la sous-région ouest-africaine, mais aussi pour d’autres zones, il est évident que ça peut étendre le champ d’opération de Boko Haram ou de tous les groupes qui vont s’en réclamer.

Il faut savoir que celui qui a été désigné par l’État islamique est le fils du fondateur de Boko Haram. Donc il peut y avoir des allégeances par ce fait dans différents pays du bassin du lac Tchad. Je pense que c’est une division qui peut rendre la situation sécuritaire beaucoup plus complexe et beaucoup plus difficile à cerner.

Face à cette nouvelle donne, cette nouvelle division de Boko Haram, ne faut-il pas que les armées africaines revoient leur stratégie ?

Pour le moment, l’outil militaire est parvenu à contenir ce mouvement, à contenir son expansion. Mon opinion, c’est que la lutte antiterroriste ne peut se consolider, prospérer que si l’action militaire est prolongée aussi par l’action des autres entités de l’État. C’est-à-dire que s’il n’y a pas une politique de développement, une politique sociale qui prolonge l’action militaire, alors l’action militaire peut se retrouver assez limitée.

Ne faut-il pas aujourd’hui élargir cette coalition à d’autres pays africains ? Est-ce qu’il y a des candidats ?

Tous les pays africains sont concernés par la menace terroriste parce que l’implication de Daech dans les affaires intérieures de Boko Haram résulte de la pression qui est exercée sur ce groupe en Libye. Et parce qu’après les pressions exercées sur le front irako-syrien, on avait constaté qu’il y avait eu un transfert de combattants sur la Libye. Maintenant avec les pressions qui s’exercent sur lui en Libye, ils vont avoir tendance à se déployer, à se disséminer dans le Sahel et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest. Ce qui peut donner une sorte de jonction des différents fronts, car quand vous prenez l’axe ouest-est, vous avez al-Qaïda, vous avez donc Boko Haram et vous avez à l’autre bout les Shebabs, et tout cela à travers des couloirs qui sont alimentés par le trafic d’armes, le trafic de drogues, l’implication dans les flux migratoires. C’est évident qu’il faudrait une coopération beaucoup plus renforcée, notamment en termes de renseignements entre les différents États. Puis que chaque État renforce son dispositif sécuritaire et militaire, parce que la mutualisation ne peut avoir de succès que s’il elle s’appuie sur le renforcement des outils nationaux.

Le Maroc va livrer du matériel militaire et sécuritaire à Niamey. Est-ce un simple geste diplomatique ou un véritable soutien ?

C’est sûrement les deux à la fois.

Crise identitaire, crise économique… Ne craignez-vous pas la montée d’un islam véritablement radical sur le continent ?

J’ai tendance plutôt à dire que la radicalité s’est emparée de l’islam convecteur. Et aujourd’hui on a donc une jeunesse qui manque de perspectives. Elle est confrontée à des problèmes d’insertion dans la société, d’insertion dans le tissu économique. Et cette exclusion, de fait, la rend mobilisable pour la violence politique. Et donc l’islam, mais aussi d’autres types aussi de canaux, peuvent apparaître comme les voies par lesquelles les jeunes essaient d’avoir accès au pouvoir politique, au pouvoir économique. Donc c’est un défi presque civilisationnel pour les États. Et je pense que là aussi, nous devons avoir une sorte de réponse concertée. Nous avons affaire à des évolutions religieuses qui peuvent remettre en cause la cohésion de nos sociétés qui sont des menaces à l’État Nation que les uns et les autres essayent de construire.

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