N. Ameline: «L’opinion n’est pas assez consciente du risque d’une déstabilisation de la Libye»

Trois militaires français sont morts dans un « accident d’hélicoptère » en Libye où ils effectuaient une mission de renseignement, confirmant pour la première fois la présence de soldats français dans ce pays. Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est livrée aux milices armées et minée par des luttes de pouvoir et des violences qui ont favorisé la montée en puissance des jihadistes du groupe Etat islamique (EI). Quelle est la situation politique en Libye à ce jour ? Quelle est la politique de la France à l’égard de ce pays ? Jean-Jacques Louarn reçoit Nicole Ameline, députée Les Républicains et présidente de la mission d’information sur la Libye.

RFI : Trois sous-officiers des forces spéciales ont trouvé la mort dans le sud-ouest de Benghazi. Et Paris confirme, pour la première fois, la présence de ces forces spéciales en Libye.

Nicole Ameline : Oui, c’est une très grande émotion pour la France, comme à chaque fois que nous perdons un homme qui se bat pour la liberté et la sécurité, pas seulement de la Libye et de la Méditerranée, mais la nôtre. Donc nous sommes à la fois très émus, mais aussi extrêmement reconnaissants à ces forces spéciales qui accomplissent un travail remarquable. Et de fait, la France est engagée, elle l’est d’ailleurs dans de grandes parties de cet espace méditerranéen. Elle y est pour contribuer à stabiliser une région dont dépend notre propre sécurité.

Justement, comment définir la politique française en Libye ? La France soutient le gouvernement d’union nationale, le GNA, basé à Tripoli, mais soutient aussi le général Khalifa Haftar dans l’est du pays, qui lui ne se rallie pas au GNA ?

Nous soutenons le gouvernement légitime qui est soutenu par l’ensemble de la communauté internationale parce que nous ne pouvons pas d’ailleurs intervenir dans un pays sans qu’il y ait une demande officielle et un gouvernement, des autorités légitimes. Mais c’est vrai que le général Haftar existe, qu’il est au-delà de sa personnalité, parfois contestée, un homme qui a une grande capacité opérationnelle au niveau de l’armée, et je dirais simplement qu’on utilise les forces aussi existantes. Et nous devons faire avec ce que nous avons. Et aujourd’hui, le général Haftar est soutenu, on n’est pas du tout dans une démarche politique, on est plus dans une démarche de sécurité.

Alors cette stabilisation dont vous parlez passe-t-elle par une intervention en Libye et comment, sachant que les Libyens toutes tendances confondues pratiquement restent farouchement opposés à une intervention militaire occidentale ?

Il n’est pas du tout question, par exemple, d’envisager des opérations de type OTAN ou autre, mais il est tout à fait essentiel que les pays voisins et des pays comme les nôtres apportent l’expertise, la formation, de vraies capacités de reconstruction aussi parce qu’il ne faut pas du tout scinder l’aspect développement, l’aspect diplomatique de l’aspect sécuritaire. Il faut une approche globale. On appelle cela plutôt de l’assistance et je pense que le mot est plus juste, de l’assistance tout à fait légitime. [il faut que] l’Europe construise enfin un vrai partenariat stratégique euro-méditerranéen qui permette aussi de soutenir un certain nombre de capacités pour la reconstruction politique du pays, ce qui ne va pas être simple. D’une manière générale, l’opinion publique n’est pas assez consciente du risque qui résulterait d’une déstabilisation plus avant de ce pays. Ça veut dire aussi de l’Egypte et de l’Algérie, ce qui n’est pas tenable.

Vous diriez que la Libye demeure toujours une bombe à retardement à la fois pour l’Europe et le reste des pays d’Afrique du Nord ?

Totalement. Et je pense surtout qu’il faut que politiquement, nous comprenions que nos destins sont liés et que la Libye, c’est un peu comme le Mali, ce sont des pays-clés pour la sécurité régionale.

Vous dites la Libye, un pays-clé. Effectivement, mais la communauté internationale soutient-elle suffisamment le gouvernement d’union nationale de Tripoli, un gouvernement bien démuni, qui n’a pas d’armée, qui semble-t-il est sous influence des islamistes, d’anciens révolutionnaires ?

Comme le disait Talleyrand, « quand c’est urgent, c’est presque déjà trop tard ». Je ne pense pas qu’il soit déjà trop tard, mais je pense que là, il faut mettre vraiment tous nos efforts et que l’Europe -l’Europe que je trouverais un peu timide aujourd’hui - investisse.

Quant aux tentatives de dialogue interlibyen, il ne semble pas porter les fruits attendus, notamment parce que les chefs de milice, de tribus ne sont pas conviés autour de la table ?

D’abord, il y a une très grande instabilité, je dirais, y compris d’ailleurs dans les responsables qui sont à la tête de ces milices. Il y a beaucoup de confusion aussi entre ceux qui sont plus proches ou non de terroristes comme Daesh, qui est installé. Il y a ceux qui les combattent ouvertement. La situation reste extraordinairement confuse sur place. On n’est pas en Suisse, on n’est pas dans un autre pays où les choses sont claires. C’est tout à fait évident, d’ailleurs la Libye ne sera jamais la Suisse. Les choses, je l’espère, vont se faire. D’abord, c’est la responsabilité des Libyens, entre Libyens, même si ça prend du temps, même si c’est compliqué. C’est d’abord la responsabilité des Libyens et je leur ai toujours dit, « si vous êtes prêts, nous le sommes ». Mais on ne peut pas non plus se substituer à eux. Là où vous avez tout à fait raison, c’est qu’il n’y a pas non plus cette culture du consensus, cette culture de la réconciliation. Il faut vraiment qu’il y ait de la part de la communauté internationale effectivement, non seulement la prise de conscience, mais l’action parce que, que vaudrait si non l’indignation sans l’action pour un pays qui va défier le monde si nous n’y prenons garde. Et derrière, il y a le Soudan, l’Erythrée, il y a la partie du Sahel qui est également très déstabilisée. Donc nous avons à prendre également cette région dans sa plus large mesure pour regarder comment, encore une fois, mobiliser toutes nos possibilités. Elles sont grandes les possibilités, car l’Europe peut aussi développer des projets tout à fait considérables dans cette région. Et il faudrait qu’elle se recentre sur ce voisinage, me semble-t-il.

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