Ministres et «ministres»

François Mazet : A la faveur des élections à la chaîne de ces derniers mois, dans une bonne dizaine de pays d’Afrique, de nouveaux visages sont apparus dans les trombinoscopes des gouvernements. Avec, plus que jamais, la question qui se murmure, mais que personne n’ose poser : tous ces ministres sont-ils à la hauteur des responsabilités qu’impliquent leurs titres, parfois ronflants ?

Jean-Baptiste Placca : Vous ne pouvez imaginer à quel point certaines de ces nominations intriguent, en effet. Evidemment, dans chacun des pays concernés, les populations apprennent à mettre des noms sur ces nouveaux visages, en y accolant les titres appropriés. Certaines de ces personnalités sont déjà connues du grand public, et les citoyens se demandent parfois, avec perplexité, pour quelles raisons on leur a attribué tel ou tel portefeuille. D’autant que la propagande officielle a cru devoir égrainer leurs notes biographiques à la télévision. Autant quelques-uns sont tout à fait à leur place, autant les attributions de certains autres apparaissent clairement hors de leur portée. Et les citoyens, à raison, s’interrogent sur les objectifs visés par le président de la République, en confiant à certaines de ces personnalités, le gouvernail de départements ministériels réellement importants dans le dispositif de développement de la nation…

 
Il ne faut pas, non plus, se barricader derrière le culte des diplômes ou un élitisme de mauvais aloi pour disqualifier qui que ce soit...

Il n’empêche. Les CV de certains de ces ministres que l’on bombarde à la tête de départements particulièrement sensibles dénotent une affligeante indigence intellectuelle. C’est un peu inquiétant, dans la mesure où le choix des hommes ou des femmes n’est pas anodin, lorsque l’on veut sincèrement sortir les peuples du sous-développement.

Vous savez bien que les chefs d’Etat doivent, parfois, remercier les politiciens qui leur ont été réellement utiles, durant la campagne. C’est quand même dans l’ordre des choses…

Peut-être… Mais tout bon chef d’Etat devrait avoir, parmi ses fidèles, un excellent ingénieur agronome, capable de piloter le ministère de l’Agriculture ou du Développement rural, au lieu d’imposer aux cadres de ce département – et aux paysans – un bonimenteur qui ne sait pas faire la différence entre ce qui se sème et ce qui se plante dans le sol de leur pays.

L’observation est aussi valable pour les partis politiques d’opposition...

Absolument ! Et ces partis ne peuvent être crédibles s’ils n’ont leur spécialiste de la santé, au fait des problèmes de santé publique et capable de donner le change au meilleur des ministres de la Santé. Idem pour leurs chargés des questions d’éducation, de recherche scientifique, etc.

Quant au président élu ou réélu pour la dixième fois, qui ressent le besoin de récompenser tous ceux qui ont battu campagne pour la modification de la Constitution ou bourré les urnes pour lui assurer sa troublante victoire, il ne peut ignorer qu’il joue ce qui lui reste de crédibilité, s’il se trompe dans le choix des femmes et hommes à qui il confie les clés des ministères, qui sont les points névralgiques du développement d’une nation. Non, aucun peuple ne mérite, en plus du fait accompli anti-démocratique, de se voir imposer, sinon des incompétents, du moins, des gens qui peuvent faire échouer leur pays, simplement parce qu’ils ne sont pas à la hauteur des défis à relever. Lorsque le besoin de récompenser des militants serviles vient à passer avant ce qu’il faut bien appeler l’intérêt supérieur d’une nation, c’est le début de ce que, dans certains régimes, on appelle la haute trahison.

D’autant que, dans la compétition mondiale que sont devenus les rapports entre pays, chaque Etat se doit de se présenter avec les meilleurs, pour ne pas se laisser surclasser. Et toutes les nations disposent, dans chaque domaine de compétence, de cadres qualifiés, au moins par dizaines, sinon par centaines. Le leader est celui qui sait aussi aller chercher hors de sa cour, les compétences qui peuvent faire gagner la patrie.

N’y a-t-il pas, justement, dans tous les ministères, suffisamment de cadres compétents, pour faire tourner le département, même avec un ministre qui ne serait pas à la hauteur ?...

Peut-être. Mais l’on sait aussi que la qualité des patrons, des chefs que l’on désigne pour animer une équipe est généralement le meilleur gage de succès de chaque département ministériel. Placer des incompétents pour donner des ordres aux meilleurs incite souvent ces derniers à aller voir ailleurs. Ils s’emploient à démanteler lesdits départements, en promouvant des gens qui ne le méritent pas, et en décourageant ceux qui sont valables.

 

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