RFI : « Si je perds l’élection, je quitterai le pouvoir. J’ai du travail qui m’attend à la maison, des vaches à garder », disait, il y a peu, Museveni. C’était encore l'un des traits d’humour du vieux président ?
Florence Brisset : On l’attend toujours, cette configuration-là. C’est difficile de prévoir, mais historiquement, lorsque Museveni parlait de ses vaches à garder, la vache était souvent une métaphore pour le pays. Donc, il faut toujours essayer de décrypter les métaphores de Museweni, de comprendre le second degré. Il a, ces dernières années, verrouillé son régime de telle manière qu’on comprend bien qu’il serait très réticent à quitter le pouvoir.
Ce n’est pas anecdotique : sa femme est ministre, son frère est l'un des chefs puissants de l’armée, son fils dirige je crois les forces spéciales. Sérieusement, Museveni peut-il passer la main ?
En effet, ce que vous décrivez, cette présidentialisation et cette « familiarisation », si je peux dire, du régime, ne donne pas d’indication en ce sens.
Diriez-vous qu’il est devenu l’image du vieux tyran africain que plus jeune il dénonçait, quand il était dans le « bush », dans le maquis ?
Ce qui est intéressant, c’est qu’en effet, cette génération-là était vue, dans les années 1990, notamment par les bailleurs de fonds, comme la nouvelle génération des dirigeants africains, avec notamment le président Kagame. Là, il a fêté cette année ses trente ans de pouvoir et est devenu, un peu, la caricature de ce qu’il dénonçait en prenant les armes, en prenant le maquis au tout début des années 1980.
Après, de faire une assimilation de Museveni avec les régimes d’antan en Ouganda, c’est évidemment la ligne de mobilisation de ses adversaires, mais je n’irai peut-être pas jusque-là. On n’est pas dans des configurations qui sont assimilables à ce qui se déroulait dans les années 1970 ou au début des années 1980.
Mais en effet, on remarque une montée en puissance des violences policières contre les civils, et une impunité des services de sécurité par rapport à cette situation ; des situations de harcèlements policiers se sont accentués pendant la campagne. Ça, c’est évident, avec y compris des exemples de disparitions qui sont assez inquiétantes.
Museveni a 71 ans. Il brigue un cinquième mandat de cinq ans. Il fait face à sept autres candidats, dont un candidat qualifié d’historique, son ancien médecin du maquis Kizza Besigye. Une longue amitié, et un long déchirement et deux ennemis, deux bêtes politiques en quelque sorte...
Le terme de « bête politique » pour Besigye est, je pense, tout à fait adapté. C’est quelqu’un qui a prouvé, à travers une campagne très active, une capacité certaine à attirer les foules, et qui a su aller à l’encontre d’un certain essoufflement qui le guettait.
Après plusieurs candidatures malheureuses contre Museveni, il a réussi à relancer sa carrière politique, à relancer la machine après les élections, une fois de plus perdues, de 2011. On ne compte même plus le nombre d’arrestations qu’il a dû endurer dans ces cinq dernières années.
Peut-on dire, Florence Brisset, que Museveni est populaire à la campagne, impopulaire à la ville ?
Historiquement, Kampala était plutôt acquise à l’opposition dans les derniers scrutins. Ce qu’on a observé dans Kampala depuis cinq ans, c’est une reprise en main très visible, très forte de l’exécutif.
Pour toutes les raisons que vous décrivez, l’image de Museveni s’était quelque peu ternie sur le plan international. Mais la communauté internationale n’a jamais trop mis, a-t-on l’impression, le nez dans le processus électoral ougandais. Est-ce que ce sera toujours le cas ? Est-ce le cas cette fois-ci ? Kampala reste un acteur sous-régional incontournable ; on pense bien sûr à la lutte contre les shebabs, à l’Amissom en Somalie.
Il bénéficie, au-delà de l’engagement régional, de ce qu’on peut appeler une espèce de « rente de l’exemplarité ». Museveni a été, pendant longtemps, l’enfant chéri du FMI, l’un des meilleurs élèves à boire la potion amère des plans d’ajustement structurel. Le guérillero marxiste, maoïste, s’est très vite converti à l’économie de marché et au plans d’ajustement structurel.
Il représentait aux yeux des organisations internationales un exemple de réussite de « la potion néolibérale ». Il bénéficiait d’un crédit auprès des organisations internationales, et vous l’avez mentionné, il y a un engagement régional qui a pu faire passer, en effet, d’autres actions régionales moins avouables, et notamment les retombées de l’engagement au Zaïre puis au Congo à la fin des années 1990.
S’il bénéficie de cette rente-là, ce n’est pas pour autant que les relations ne sont pas conflictuelles. On l’a vu souvent, il y a des engagements et des disputes entre le régime et les bailleurs. On l’a vu ces dernières années avec la question de la loi très répressive contre l’homosexualité, qui a finalement été rejetée par la Cour constitutionnelle.