A la Une: la mort de David Bowie

Par où commencer ? L’annonce matinale hier de la disparition du chanteur, auteur, acteur, producteur a permis aux quotidiens de peaufiner leur hommage, à grands renforts de photos, de biographies, d’interviews…

Par où commencer donc ? Il y a du Bowie partout ce matin dans les journaux… Avec un record, 32 pages pour Libération. Un numéro spécial entièrement consacré à la star planétaire.

A tout seigneur, tout honneur donc… Libé nous propose en couverture, cette photo double page noir et blanc, avec un Bowie allongé, tenant contre lui sa fille, Alexandria. Le chanteur a les yeux fixés vers le ciel, dans une attitude d’abandon. D’aucuns pourraient y voir une forme de passation de pouvoir, un passage de témoin entre une génération et une autre. Il faut dire que la mort et la renaissance, il connait… « Combien de fois a-t-on vu David Bowie mourir ?, s’exclame Libération. La stupéfaction portée par la nouvelle de sa mort nous frappe quelques jours seulement après la parution de son 26ème album, Blackstar, et surtout la découverte d’un clip, Lazarus, qui demeurera l’ultime image testamentaire apparue de lui de son vivant. Le plan conclusif met en scène la star, portant plus que jamais sur elle les ravages de son âge, alors qu’elle se retranche à reculons dans une armoire-tombeau dont la porte se referme sur elle. Déjà, rappelle Libé, en 1973, sur la scène de l’Hammersmith Odeon, devant un public éberlué qui pousse un cri sauvage d’incompréhension, la star, grimée en Ziggy Stardust, annonce que c’est le dernier concert qu’elle fera jamais, avant d’entonner un déchirant Rock’n Roll Suicide. David Bowie liquidera ainsi tout au long de sa carrière bien d’autres avatars, d’Aladdin Sane au Thin White Duke, etc. »
De Ziggy à Lazare, donc, Bowie avait l’art de se réincarner. Et « d’autres pop stars ont beau forcer les excentricités, pointe encore Libération, aucune d’entre elles ne peut rivaliser avec le caméléon Bowie. »
« David Bowie, rock star aux cent visages », renchérit Le Figaro. « Véritable caméléon, l’icône du rock avait su en presque un demi-siècle de carrière renouveler en permanence sa musique et son style, incarnant une kyrielle de personnages devenus mythiques. (…) Jusqu’à son dernier souffle, l’homme aura joué des masques et de la représentation, avec une virtuosité époustouflante. Il a réussi la gageure de s’en aller alors que nul n’était informé qu’il se battait contre un cancer depuis dix-huit mois, dans une ultime mise en scène qui fait froid dans le dos. »
Oui, toujours ce fameux clip de la chanson Lazarus, où on le voit, « couvert de bandelettes, rapporte La Nouvelle République du Centre Ouest, quasi momifié qui se lève, marche presque, flotte entre ciel et terre. ‘Je suis au paradis’ prend-il soin de préciser. »

A entendre et à voir !

« Sur le plan musical, Bowie a voulu être tout à la fois, note Le ParisienRock et folk, funk et techno, acoustique et électrique. ‘A écouter à plein volume’, indique le chanteur sur la pochette de Ziggy Stardust sorti en 1972. ‘Allons danser’, chante-t-il dans ‘Let’s Dance’ en 1983, son plus gros succès commercial, avec 14 millions d’exemplaires vendus. Avant tout le monde, il s’essaie au disco sur ‘Fame’, coécrit avec John Lennon en 1975. Quelques mois plus tard, il se passionne pour la musique expérimentale allemande, les synthétiseurs des pionniers Kraftwerk, et en tire une trilogie audacieuse ‘Low’, ‘Heroes’, et ‘Lodger’, enregistrés entre 1977 et 1979. Dans les années 1990, il chante avec les tout jeunes Placebo. En 2005, il monte sur scène avec les déjà prometteurs Arcade Fire. Aux dernières nouvelles, il a beaucoup écouté Kendrick Lamar, le nouveau génie du hip-hop, pendant l’enregistrement de son dernier disque. » Bref, conclut Le Parisien, Bowie a été « connecté jusqu’au bout. »
En effet, remarque aussi Le Monde, « le music-hall, le folk hippie, le glam-rock, la soul, le funk, la pop, les musiques électroniques… auront été quelques-uns des genres qu’il avait abordés, y donnant à chaque fois une couleur, une personnalité. Sa voix passant de la caresse jusqu’au cri, dans de nombreuses nuances, faisant passer une forme de dramaturgie dans l’expression. »
Et il n’y avait pas que la musique, pointe encore le quotidien du soir. « Avec Bowie, il y autant à voir qu’à entendre. Ce dernier accordait une grande importance à son invention visuelle, puisqu’il archivait minutieusement ses créations. Il y avait 300 objets, rappelle Le Monde, dans l’exposition Bowie qu’on avait pu voir à Paris il y a un an : vêtements, dessins, photos, films, textes, manuscrits de chansons, dessins de story-boards, planches photos, documents vidéo, décors de scène, objets fétichistes… 90 % de ces objets provenaient de la collection personnelle du musicien, riche de plus de 75.000 objets et documents, qui étaient tous minutieusement stockés à New York. »

Même dans le business…

David Bowie était donc à l’avant-garde… « jusque dans le business », s’exclament Les Echos en première page. Le quotidien économique relève en effet que « David Bowie était un pionnier aussi dans la distribution de son œuvre. Premier artiste majeur à proposer un single en téléchargement (Telling lies) dès 1997, il sort aussi dès 1999 son nouvel album, Hours, entièrement en ligne. (…) Entre temps, il est l’un des premiers à lancer son site et il crée même… un fournisseur d’accès à Internet, BowieNet, pour faciliter l’accès des fans à sa musique, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. » Dans les années 2000, poursuivent Les Echos, « Bowie prophétisait aussi la fin du droit d’auteur. L’Histoire lui a donné tort, mais l’esprit est là : il pressent alors des changements irréversibles, milite pour une musique désintermédiée, où les labels ne joueront plus un rôle aussi central, où la musique sera un bien courant ‘comme l’eau ou l’électricité’ et où les concerts seront la pierre angulaire du système. » Là, il avait raison…
Enfin, on revient à Libération, avec ce témoignage du producteur Dominique Blanc-Francard qui avait croisé Bowie dans les années 70 : « la première fois qu’il m’a regardé dans les yeux, j’ai vraiment cru que des lasers me transperçaient. J’avais l’impression qu’il pouvait lire dans les pensées des gens mais ça ne générait aucune inquiétude. Musicalement, poursuit Dominique Blanc-Francard, je le trouvais brillant mais je comprenais mal. C’était trop avant-gardiste peut-être. Jusqu’à ‘Let’s dance, en 1983. Ça a été un choc très fort. Il était un peu comme Gainsbourg, toujours à l’affût des courants. Toujours devant. C’est ça un grand artiste : s’accaparer les modes et les courants, et les porter. »

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