RFI : Vous avez recensé dans votre rapport pas moins de 143 violations des droits de l’homme à caractère politique entre le 1er janvier et le 30 septembre. Cette tendance se confirme sur les mois d’octobre et de novembre, puisque sur ces deux derniers mois, vous avez recensé 71 nouvelles violations. Est-ce que ça vous inquiète ?
José Maria Aranaz : Effectivement, c’est une tendance inquiétante. Ce que nous avons pu constater, c’est que les violations des droits de l’homme liés aux droits et libertés politiques, telles que la liberté d’expression, d’association, de réunion, mais aussi le droit à la liberté ou à la vie de certains des acteurs importants, censés jouer un rôle dans le processus électoral, ont pris une place centrale dans la vie politique en RDC alors qu’on s’approche des élections. Et la tendance inquiétante, c’est que le nombre de violations est élevé. Cela concerne tout le pays, et se concentre sur les zones urbaines. La fréquence, l’importance suivent les cycles politiques.
L’un des premiers temps forts, si l’on peut dire, c’est le mois de janvier et cette vague de manifestations contre l’une des dispositions de la loi électorale assimilée à une tentative de faire glisser le calendrier électoral… Qu’est-ce qui était préoccupant dans ces événements ?
Les manifestations de janvier constituent un marqueur inquiétant et pour plusieurs raisons. D’abord en termes de nombre de morts. La grande majorité par les forces de sécurité. Deux policiers ont aussi été tués. Nous avons constaté un usage excessif de la force. Plus de 500 arrestations à travers tout le pays, des manifestations, des opposants, société civile. Interruption également du droit à l’information à travers des interdictions ou suspensions des médias. Et jusqu’à aujourd’hui, même si on l’a demandé, il n’y a eu aucune enquête ou rapport sur ce qui s’est passé. Donc, vous avez un certain nombre de choses très symptomatiques d’un état de la situation alors qu’on va rentrer dans un cycle électoral : un recours massif à l’arrestation et à la détention arbitraire, un usage excessif de la force dans des opérations de maintien de l’ordre, des exécutions extrajudiciaires et très peu de ceux qui commettent ces abus ont à rendre des comptes. Ca, c’est un schéma qu’on a vu se répéter, pas à la même échelle, mais tout au long de l’année. Et ce sont des questions qu’il faut résoudre de manière urgente alors qu’on s’approche d’un cycle électoral aussi important et si on souhaite qu’il soit considérer comme crédible.
Vous soulignez qu’il y a eu des progrès dans la lutte contre l’impunité en RDC, avec des procédures contre les agents de l’Etat responsables de violations… Mais jamais pour ce qui est des violences à caractère politique.
Précisément et nous avons demandé à plusieurs reprises, nous les Nations unies, la communauté des défenseurs des droits de l’homme et même la communauté internationale, une enquête par exemple sur ce qui s’est passé en janvier. Si ça a été fait, les résultats n’ont jamais été partagés avec nous. Récemment, Human Rights Watch a publié un rapport sur les manifestations de septembre avec des allégations très sérieuses. Nous n’avons pas entendu parler d’une enquête. Pour ce qui est des centaines de cas d’arrestations ou détentions arbitraires, nous n’avons pas entendu parler de sanctions ou de mesures pour corriger cela.
C’est l’une des raisons qui vous font dire que le système judiciaire est instrumentalisé à des fins de répression, quelles sont les autres ?
L’instrumentalisation de certaines institutions à des fins politiques est l’une de nos principales sources de préoccupations. Le rôle des institutions de l’Etat dans un processus politique est de rassurer l’ensemble des citoyens de leur impartialité et pas de se mettre au service d’un parti politique, d’un gouvernement ou d’un groupe d’intérêt. Et nous avons été surpris par certaines décisions judiciaires ou absences de décisions judiciaires. Une procédure judiciaire est basée sur la loi et la présentation de preuves. Si ces preuves ne sont pas présentées, les personnes détenues devraient être relâchées, sinon elles deviennent les otages d’un système politique. Il y a d’autres institutions, comme les forces de sécurité, les autorités locales. Au mois de septembre, nous avons recensé par exemple, que les décisions administratives avaient un double standard. La plupart des manifestations ou rassemblements de l’opposition ou de la société civile ont été interdits ou réprimés.
Dans quelles mesures est-ce que c’est possible, selon vous, pour le gouvernement de rectifier le tir ?
Ce rapport est publié conformément au mandat donné par le conseil de sécurité. L’objectif de ce rapport n’est pas d’embarrasser qui que ce soit, c’est le contraire, c’est un retour au principe de réalité. C’est pour ça qu’il a été produit si tôt dans le processus, c’est une opportunité. Ce que nous proposons, c’est une série de mesures liées aux constats faits dans ce rapport dont l’objectif est restauré la crédibilité du processus électorale. Et toutes ne s’adressent pas au gouvernement. Parmi ces recommandations, éradiquer l’usage excessif de la force dans le contrôle des foules, donner à la police des moyens adéquats et la former, amener les responsables d’un usage excessif de la force devant la justice, faire des enquêtes à chaque fois, mettre fin aux arrestations arbitraires, le système judiciaire doit prouver qu’il est entièrement indépendant, arrêter de considérer les opposants, la société civile ou les médias comme des ennemis, ce sont des acteurs importants de n’importe quel processus électoral à travers le monde. Ils ne devraient pas être criminalisés. A tous, arrêtez de manipuler la jeunesse. Toute personne qui incite à la violence devrait être poursuivie. Et il faut faire les réformes pour que les femmes aient leur place dans le processus électoral.