RFI : Est-ce que vous ne souffrez pas de la chute de moitié des cours du baril ?
Patrick Pouyanné : Le pétrole est une industrie volatile. Bien sûr, pour Total la division par deux du prix du baril se traduit par moins de cash flow (trésorerie), mais en même temps dans le pétrole il faut avoir une vision de moyen-long terme. Nous investissons dans des projets pour 20-25 ans. Le prix baisse, il remontera. Nous avons pris des mesures pour nous adapter, bien évidemment, à court terme.
C’est-à-dire que vous avez supprimé des emplois ?
Non, nous n’avons pas pris cette politique de suppression d’emplois, parce que former un opérateur pétrolier, ça prend du temps, c’est un investissement pour une entreprise. Et donc, contrairement à d’autres opérateurs pétroliers, y compris en Angola, nous avons décidé de garder l’ensemble de notre personnel. Nous recrutons moins, mais nous ne supprimons pas d’emploi. Mais nous réduisons notre train de vie en fait. L’industrie pétrolière est une industrie où on dépense beaucoup d’argent, on parle en milliards de dollars. Ici, en Angola, nous sommes en train d’investir dans un projet qui s’appelle Kaombo qui fait 16 milliards de dollars. C’est un grand projet offshore qui va se dérouler au cours des prochaines années. Donc, l’investissement de Total en Angola cette année, c’est 2,5 milliards de dollars, c’est 10% des investissements du groupe. Donc l’Angola pour Total, c’est un pays majeur, deuxième pays producteur pétrolier en Afrique. Et Total est très fort en Afrique.
Mais au moment où l’on parle de réchauffement climatique, est-ce que le pétrole n’est pas en perte de vitesse ?
Le réchauffement climatique est un enjeu majeur bien évidemment et nous devons y contribuer. Nous sommes en partie responsables. Nous fournissons des produits qui font du CO2, je le reconnais, mais en même temps nous sommes une partie de la solution. Et dans tous les scénarios d’évolution du mix énergétique à horizon 50 ans, il y a des énergies fossiles, il y aura besoin de pétrole. Il y a aussi besoin d’autres énergies, des énergies renouvelables. Et Total est d’ailleurs engagé notamment dans le solaire. Nous sommes devenus par notre filiale Sunpower, le deuxième équipementier solaire au monde. C’est peu connu. Et d’ailleurs, un des accords que je vais signer en Angola concerne le solaire et la distribution de lampes solaires auprès des clients angolais qui va leur permettre d’accéder à l’énergie. Il y a encore près de deux milliards d’habitants sur la planète, et beaucoup d’Africains qui n’ont pas accès à l’énergie.
Longtemps, on a reproché à Total de ne pas payer la totalité de ses impôts grâce à des placements dans des paradis fiscaux. Est-ce que vous avez bougé ?
Ça fait partie des fantasmes qu’il y a. Nous respectons les lois fiscales de l’ensemble des pays. Nous avons pris des engagements forts. J’ai moi-même pris un engagement puisque nous avons publié la totalité des filiales qui sont consolidées dans le groupe. Il y a plus de 900 filiales avec leurs pays. Il y avait un deuxième engagement qui était de se retirer d’un certain nombre de pays dits « non coopératifs ». Nous avions 35 filiales, nous n’en avons plus qu’une quinzaine. Nous avons l’objectif effectivement, pour des raisons de transparence, de ne pas apparaître comme un acteur qui pourrait être accusé de ce que vous me dites. En fait, nous respectons les lois de tous les pays dans lesquels nous travaillons.
Vous payez vos impôts en Angola ?
Bien sûr, nous payons énormément d’impôts en Angola. Le principe, c’est de payer les impôts dans le pays où nous produisons de la richesse. Donc en Angola, nous sommes taxés à près de 60%. Les recettes pétrolières représentent plus de 90% du budget de l’Etat angolais. Nous respectons bien évidemment les contrats que nous avons signés avec l’Angola.
Le contentieux fiscal avec le Gabon, c’est terminé ?
Oui, c’est fini, bien sûr. Il y a eu un débat, beaucoup de bruit également avec des chiffres annoncés. Des fois, il y a un côté un peu spectaculaire, mais l’affaire a été close et quand j’ai rencontré en fin d’année le président Bongo à Libreville, nous nous sommes félicités tous les deux qu’une solution raisonnable avait été trouvée. Il n’y avait bien évidemment aucune erreur du côté de Total. Les règles fiscales parfois ne sont pas complètement claires, mais ça s’est réglé à l’amiable, comme toujours d’ailleurs avec nos amis africains. Total a 60 ans en Angola, plus de 50 ans au Gabon. Quand vous avez une telle fidélité au pays, vous savez très bien que vous allez toujours traverser des micro-crises. Et parfois, c’est beaucoup de bruit dans l’eau.
L’Angola représente 10% de la production totale de votre compagnie. Et sur l’ensemble de l’Afrique, qu’en est-il ? Est-ce que l’Afrique est une part de plus en plus importante ou de moins en moins importante ?
L’Afrique est un continent majeur, c’est plus de 25% du groupe. C’est une zone où notre stratégie est de se développer, non seulement dans la production pétrolière, mais également dans la distribution de carburants. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 43 pays en Afrique et nous avons plus de 16% de part de marché dans des réseaux de stations services. Nous avons des participations aussi dans cinq raffineries africaines. Donc l’Afrique doit représenter à peu près 30% aujourd’hui de la production de Total. Et c’est en progression grâce à des pays comme l’Angola, le Nigeria, le Gabon, le Congo-Brazzaville, l’Ouganda demain et d’autres.
Vous avez subi un grand choc après le décès de Christophe de Margerie, survenu en octobre 2014 à Moscou dans un crash. Il vous est arrivé une responsabilité énorme à laquelle vous ne vous attendiez pas du tout. Comment ça s’est passé ?
Ça s’est passé aussi bien qu’on pouvait l’espérer. C’est une entreprise qui a une valeur fondamentale qui est la solidarité. Le corps social de Total s’est senti agressé. Au même moment, on a perdu notre patron et on a vu le prix du baril divisé par deux. Beaucoup de challenges. L’entreprise est plus forte que les individus qui la dirigent. Quand on a une entreprise de plus de 100 000 personnes, une des plus grandes entreprises mondiales, il y a une force interne sur laquelle nous nous appuyons pour passer ces épreuves. Je dirais avec un certain succès depuis le début de l’année puisque nos résultats, si je les regarde, sont plutôt satisfaisants.