«Il faut recentrer les gardes présidentielles sur leur cœur de métier»

Au Burkina-Faso, le pouvoir tente de modifier le rôle et le fonctionnement du RSP (le régiment de sécurité présidentielle). Une commission a été mise en place depuis que la garde présidentielle de l’ancien président Blaise Compaoré a tenté de faire tomber le Premier ministre Isaac Zida en février. Souvent mieux équipées, mieux formées et mieux supervisées que les armées régulières, les unités d'élite qui entourent les présidents africains apparaissent comme des forces politiques au service d'un homme ou d'un clan plus que des institutions. Comment les réformer ? Eléments de réponse avec le sociologue Axel Augé, enseignant-chercheur aux écoles de Saint-Cyr et à l'université Rennes 2. Il a notamment coécrit en 2010 « Réformer les armées africaines. En quête d'une nouvelle stratégie. » aux éditions Karthala.

RFI : Axel Augé, au Burkina Faso le fait qu’un débat ait lieu sur le rôle et le fonctionnement de la garde présidentielle, est-ce une bonne chose ?

Axel Augé : Oui, je crois que c’est une bonne chose. Parce qu’au fond ce débat pose la question de la reprofessionnalisation, pourrions-nous dire, des gardes présidentielles et de ce régiment de sécurité présidentielle, dans un contexte de consolidation démocratique au Burkina Faso.

« Reprofessionnalisation », qu’est-ce que vous voulez dire ?

Je veux dire par là que le régiment de sécurité présidentielle a longtemps été associé à des actions d’intimidation qui l’ont un petit peu éloigné de son cœur de métier et en particulier à l’époque où le président Blaise Compaoré sentait son régime se fragiliser.
Donc la reprofessionnalisation renvoie au fond à un processus, à la fois de démilitarisation du pouvoir de ses forces, au profit d’un recentrage de leurs missions, vers une forme de professionnalisme qui soit conforme à la lettre d’organisation de cette force. C'est-à-dire la sécurité du chef de l’Etat, de son gouvernement et des acteurs au pouvoir en général.

L’existence de gardes présidentielles prépondérantes dans de nombreux pays africains pose-t-elle problème, d’après vous ?

La garde présidentielle est un acteur central des forces de sécurité et de défense dans la plupart des pays au sud du Sahara. Et cette place spécifique finalement n’a que partiellement, si je puis dire, été remise en cause par les différentes transitions politiques qui ont démarré depuis les années 90 et qui se sont un petit peu accélérées ces dix dernières années.

Mais au fond oui, elles posent problème parce qu’elles sont employées par les pouvoirs en place comme des forces prétoriennes à usage répressif interne, et non pas comme des organisations sécuritaires au service de l’élite dirigeante du pays. Elles se mettent plutôt au service d’un homme, de la caste au pouvoir, de sa parentèle, et moins au service de l’ensemble de la classe dirigeante du pays. Donc de ce point de vue-là, en effet, les relations entre l’armée dont elles font partie – il faut le dire – et le pouvoir politique, sont tronquées. Elles sont biaisées, déséquilibrées.

Et comment expliquer cette place prépondérante dans les pays africains de la garde présidentielle ?

Je crois que si l’on regarde dans le rétroviseur et en prenant un peu de champ historique, il faut se souvenir que les gardes présidentielles laissent un petit peu dans le chaos de l’instabilité politique des régimes postcoloniaux marqués par des coups d’Etat, qui suivent la phase des Indépendances.
Nous sommes là dans les années 1960-1970 – dates auxquelles la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne accèdent à l’Indépendance et à leur souveraineté – et au fond, les gardes présidentielles sont créées et poussées par un sentiment de méfiance, pourrions-nous dire, du pouvoir politique envers les armées régulières. En créant les gardes présidentielles, le pouvoir politique fragilise à la fois les armées régulières, fragmente son système de défense, et in fine, alimente une espèce de compétition entre les forces armées.

Axel Augé, vous avez travaillé sur le système sécuritaire au Gabon en particulier. Une réforme de la garde présidentielle a été lancée par le président Ali Bongo il y a quelques années. A-t-elle permis selon vous, de changer les choses ?

Oui et non. Je vous fais une réponse de ce type parce que la réalité est complexe. [oui] Elle a permis de changer les choses, d’abord parce qu’un certain nombre de nouvelles missions ont été confiées aux forces armées. Peut-être un peu moins à la garde présidentielle qui d’ailleurs s’appelle désormais la garde républicaine.
Non, parce qu’au-delà du changement cosmétique -la garde présidentielle est devenue garde républicaine- les missions sont restées les mêmes : sécurité du président de la République et puis au fond une relation de méfiance envers la population civile, alimentée par une histoire des relations entre la garde présidentielle et la population civile tourmentée, faite d’arrestations d’opposants, de non respect des habitants, d’exactions commises contre les populations civiles.

Et on pense en particulier à l’arrestation, à l’emprisonnement de l’opposant en 1976 ; Agondjo-Okawé, aujourd’hui décédé, qui était une figure centrale de l’opposition gabonaise et qui avait été maltraité par la garde présidentielle, appellation qu’elle portait à cette époque. Donc, il me semble qu’elle continue d’habiter l’imaginaire populaire gabonais, sous les termes d’une force prétorienne au service du pouvoir coercitif, ayant des relations difficiles et violentes envers la population.

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