RFI : Comment avez-vous procédé pour faire parler ces femmes ?
Christian Macauley Sabum : Il fallait déjà que ces femmes comprennent qu’il y a une forme d’assistance qui est l’assistance psychologique, car, en effet, dès qu’elles ont été libérées, elles ont subi toutes sortes d’entretiens militaires et sécuritaires, ce qui les a renfermées. Parler avec des psychologues, cela leur donnerait plus d’espoir. Elles ont alors commencé à se mettre en confiance et à faire confiance aux personnes qui se trouvaient dans le camp. C’est ce qui leur a permis de commencer à parler de leur histoire.
Celles qui parlent aujourd’hui, que racontent-elles ?
L’équipe s’intéresse davantage à la façon dont l’histoire les a affectées et sur quel plan les aider à surmonter cette souffrance émotionnelle. Nous avons constaté, dès les différents entretiens psychologiques avec ces dames, qu’il y en a certaines qui ont des troubles psychologiques, comme les troubles de stress post-traumatiques ou encore des troubles de dépressions majeures.
Quels sont les cas les plus graves que vous ayez rencontrés ?
Ce sont des personnes qui ont des difficultés à gérer les émotions, comme le cas d’une femme qui se plaint tout le temps de mauvais rêves et qui, dans les rêves, voit des gens qui l’étouffent et qui ressemblent à ses ravisseurs. Elle est tout le temps en train de pleurer et se met toujours à l’écart des autres personnes. Tout ceci nous donne l’indication d’un trouble de stress post-traumatique.
On sait que beaucoup ont subi des violences sexuelles. Est-ce qu’elles en parlent ?
C’est difficile de parler de violences sexuelles car c’est un sujet tabou. Même dans un contexte normal, les gens n’aiment pas parler de ce genre de sujets.
Lors d’une dans une thérapie de groupe, par exemple, il y a une dame qui a voulu parler de son histoire. Elle a commencé à en parler et à aborder le sujet sur la violence sexuelle dont elle a été victime, mais subitement, il y a eu une femme, à côté, qui a essayé de lui dire de ne pas en parler. La femme lui disait : « ce n’est pas normal de parler de viol. Vous savez que votre mari pourrait écouter cela et ça pourrait avoir des préjugés sur vous et sur votre mariage ».
Nous avons compris que ces femmes ont des choses à dire et qu’elles n’aiment pas dire par peur d’être stigmatisées dans la société. Mais nous savons qu’avec le temps, elles finiront par parler de cela. Vous voyez des femmes prises en otage pendant longtemps, certaines en mariage forcé. Evidemment que toutes ces personnes là ont été violentées ou bien ont subi des violences sexuelles. C’est très évident.
Quand on parle de « mariage », qu’est-ce que cela veut dire ?
Ce sont des mariages forcés. Les gens de Boko Haram ont une croyance et ils pensent que la femme est un « objet ». Et ces femmes-là, dès qu’elles ont été prises, on leur a demandé de se convertir – la plupart des femmes que nous avons réussi à libérer sont des chrétiennes – et pour certaines, elles ont également été forcées au mariage. D’autres encore ont résisté et subi des violences physiques. Il y a, par exemple, une dame qui nous dit comment chaque matin elle a été tabassée jusqu’au moment où elle a été abandonnée. Elle est alors devenue une moquerie, même pour certaines dames qui étaient en captivité comme elle.
Est-ce qu’il y a des cas qui vous ont surpris ?
Nous avons rencontré certaines de ces dames qui ont développé une certaine sympathie avec Boko Haram et qui ont développé un mode de vie bien qu’elles aient vécu différentes formes de violence. Elles se sont adaptées à leur mode de vie et ont fini par accepter ce que Boko Haram leur proposait. Elles ont trouvé presque une forme de liberté dans la captivité, ce qui leur a permis de mener une vie presque normale dans la captivité. Dans la forêt, mener des petits commerces, manger bien et même mener des petites activités commerciales, cela leur permettaient d’être épargnées. Depuis qu’elles ont été libérées, elles sont tout le temps interrogées par les ONG, les journalistes et les militaires qui essaient d’avoir des informations sur Boko Haram. Cela les met, à nouveau, dans une situation d’angoisse. Leur situation actuelle dans le camp est quelque fois déplorable. Par ailleurs, il y a moins à manger qu’avant et les chambres sont très petites. Il y a la promiscuité qui les fait parfois regretter la vie qu’elles mènent maintenant. Elles préfèrent repartir. Depuis qu’on les a libérées, ces femmes se sentent plus en prison qu’en liberté.
J’ai croisé des hommes qui étaient à la recherche de leur épouse ou de leur sœur, et j’ai notamment assisté à une rencontre entre un frère et sa sœur. Mais la sœur ne l’a pas reconnu. Comment expliquez-vous cela ?
Dès que ces femmes sont prises, elles subissent une forme de lavage de cerveau qui leur fait comprendre que tout ce qui est hors du système Boko Haram est mauvais. Cela peut expliquer pourquoi vous voyez des jeunes filles qui portent des bombes sur elles et qui se font exploser en public - ce sont de grands psychologues, ceux de Boko Haram – et nous rencontrons de plus de cas comme ceux-ci qui demandent à ce que nous ayons des équipes de psychologues encore mieux formées de façon à pouvoir ramener les femmes à leur mode de vie habituel.