Comment se fait-il que les citoyens congolais aient si peu confiance en leur justice ?
Raphaël Nyabirungu : Nous sommes à un moment effectivement où la justice paraît inaccessible, chère, non porteuse de valeurs morales, soupçonnée d’être du côté du fort plutôt que du faible. Il y a beaucoup de raisons pour que le citoyen congolais ne se sente pas rassuré par sa justice.
A quelles difficultés très concrètement se heurtent les Congolais qui essaient d’avoir accès à la justice ?
D’abord le Congo est un territoire très vaste. Nous pouvons imaginer un tribunal de grande instance qui est à la disposition des populations disséminées sur un rayon de 400, 500 kilomètres. La distance, c’est déjà un obstacle très important. Ensuite, les exigences d’ordre pécuniaire : aucun acte judiciaire n’est posé gratuitement même si la loi dit le contraire. Ceux qui sont chargés de dire le droit sont soupçonnés de favoriser ceux qui ont des moyens aux dépens de ceux qui n’en n’ont pas.
Une corruption d’ailleurs que le ministre de la Justice, à l’ouverture de ces états généraux, n’a pas hésité à dénoncer. Est-ce que l’un des gros problèmes de crédibilité de la justice congolaise n’est pas lié également aux pressions politiques que subissent les magistrats sur certains dossiers ?
Effectivement. Lorsque l’on parle de trafic d’influence, c’est certainement parce qu’on pense à ceux qui ont les moyens de faire pression, notamment de caractère politique compte-tenu de leur position sociale ou hiérarchique.
Lors de son discours introductif lundi, le président Joseph Kabila a appelé à un changement des mentalités de tous les acteurs. Qu’en pensez-vous ?
La grande faiblesse du système judiciaire congolais n’est pas attribuable seulement aux magistrats. C’est-à-dire, aucun magistrat n’est corrompu s’il n’a pas un partenaire corrupteur. Et ces corrupteurs, c’est notamment les citoyens ordinaires qui sont plus disposés à corrompre plutôt qu’à dénoncer le mal qui gangrène tout le système judiciaire congolais.
Autre problème examiné au cours de ces journées de travail, les prisons. Est-ce qu’elles ne sont pas le parent pauvre de la justice congolaise aujourd’hui ?
Oui, et il n’y a pas moyen d’exécuter des peines lorsque les infrastructures pénitentiaires sont absentes, détruites et surtout ne disposent pas de moyens. Tout le monde déplore l’hygiène au sein de nos prisons, l’alimentation au sein de nos prisons. Il faut absolument considérer l’administration pénitentiaire comme faisant partie intégrante de la chaîne pénale.
Si l’on parle des crimes les plus graves à présent, beaucoup de crimes commis au Congo sont encore impunis. Malgré des progrès, l’organisation Human Rights Watch regrette que très peu de procès aient été organisés ces dernières années concernant des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Qu’est-ce qui bloque encore ?
La justice post-conflit est une justice très difficile à mettre en œuvre. Pour ce qui est des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut de Rome en 2002. Les juridictions militaires font ce qu’elles peuvent et tout le monde est unanime pour saluer une évolution remarquable dans la maîtrise de ce contentieux. Mais en même temps, on regrette un peu que depuis deux ans, la loi a dit que les cours d’appel étaient compétentes. Aucun dossier n’a jamais été instruit et encore moins jugé ou a donné lieu à une condamnation. Il faut travailler à la formation pour une mise en œuvre des instruments internationaux en la matière.
Il était question que soit mises en place au Congo des juridictions mixtes, capables de juger ces crimes, avec des juges donc formés au droit international. Où en est-on ?
Ces initiatives pour le moment ont été rejetées parce que les parlementaires n’ont pas compris pourquoi il y aurait beaucoup d’argent engagé dans des structures mixtes alors que la même somme d’argent pourrait servir à renforcer les capacités du système judiciaire congolais existant.
Est-ce qu’il y a un manque de volonté politique peut-être de ce côté-là ?
Il y a des retards parfois qui paraissent inexpliqués comme la mise en œuvre du Statut de Rome qui a fait l’objet d’une proposition de loi depuis avril 2008. Et à ce jour, cette proposition n’a jamais été votée. Nous devons travailler pour que les crimes les plus graves ne restent pas impunis si nous voulons réellement construire une société démocratique solide.