RFI : Bonjour Paul Coquerel, vous êtes historien et spécialiste de ce pays toujours marqué par la chute de l'apartheid. Est-ce que le président sud-africain et le gouvernement ont suffisamment pris au sérieux ce retour de la violence xénophobe ? On rappelle qu'en 2008, il y a seulement sept ans, des incidents similaires avaient fait 62 morts.
Paul Coquerel : Vous faites bien de le rappeler, simplement pour dire que ce n’est pas la première fois que se déroule ce type de violence qui a d’ailleurs commencé avant avril puisqu’au mois de janvier, à Soweto, un certain nombre de personnes avaient été tuées exactement dans les mêmes conditions. Est-ce que le gouvernement prend la mesure exacte de l’évènement ? Ça va être assez difficile de répondre. Ce que l’on peut dire c’est que Jacob Zuma a attendu près de deux semaines avant de prendre officiellement position et de condamner officiellement les violences. D’autre part, celui qui est à l’origine de ce déclenchement, qui aurait mis le feu aux poudres - le roi Zulu Goodwill Zwelithini - s’est excusé, mais n’est pas revenu sur sa déclaration.
Dans un premier temps, il avait appelé les étrangers en situation irrégulière à « plier bagage » ; il a fait un peu machine arrière.
Absolument. Il est connu pour un parlé assez direct et certainement un manque de diplomatie, mais ce que l’on constate, c’est que c’est à l’issue de cette prise de parole que se sont déroulées ces violences xénophobes.
Et ce sont les immigrés africains qui sont les plus visés, qu’est-ce qu’on leur reproche précisément ?
Qui est visé ? Principalement des immigrés africains. D’où est-ce qu’ils viennent ? Ils viennent majoritairement du Zimbabwe, du Mozambique, mais aussi du Malawi. Beaucoup viennent de Somalie, d’Éthiopie, du Congo, du Nigeria et il y en a même qui viennent du Sénégal. Ce sont les immigrés qui viennent d’Afrique noire qui sont principalement visés et par qui sont-ils visés ? Eh bien par les habitants et, le plus souvent, par des habitants de quartiers très défavorisés comme les anciens townships et dans lesquels les taux de chômage peuvent atteindre 40 %. Qu’est-ce qu’ils leur reprochent ? Ils leur reprochent bien sûr de s’enrichir à leurs dépens ; ils leur reprochent de ne pas s’intégrer, ils leur reprochent de ne pas consommer sud-africain ou encore de challenger les commerçants sud-africains. Ce sont de véritables bêtes noires qui canalisent, en quelque sorte, de la rancœur, de la frustration, je dirai beaucoup de désespoir de la part de ces populations-là.
Et toutes ces frustrations viennent de la chute de l’apartheid ; c’est ce qu’on dit ?
Je ne dirai pas qu’elles viennent de la chute de l’apartheid. On ne peut pas dire ça. Elles viennent, à mon sens, d’une sorte de double vitesse sur laquelle a fonctionné l’Afrique du Sud. Vous avez eu une période après l’apartheid jusqu’au début des années 2000 où tout est allé extrêmement vite, c'est-à-dire construction de nouvelles valeurs identitaires nationales, symboles nationaux renouvelés, redécoupage territorial et surtout transfert du pouvoir politique des Blancs vers les Noirs, en échange, bien entendu, du pouvoir économique qui reste majoritairement aux mains des Blancs. Et tout cela est allé très vite.
Au fond, pour ces populations-là, il était évident que l’accès à un niveau social supérieur, à des biens de consommation, à une amélioration de l’habitat, l’accès à l’eau ou encore à l’éducation allait de pair. Elle est quasiment parallèle. Or, le temps du politique ou le temps du symbolique, ce n’est pas le temps de l’économique et du social, ce qui explique en partie cet écart entre des aspirations extrêmement fortes auxquelles ne répond pas le gouvernement. Il est toujours très démuni par rapport à ces demandes-là. Il peut y répondre par un peu de démagogie, par quelques mesures, etc., mais je crois que ce n’est pas la fin de l’apartheid qui a provoqué cette situation-là.
C’est une évolution plus profonde de la société.
Vous avez raison. L’apartheid a laissé des marques extrêmement durables en termes de géographie, en termes de culture, en termes de mentalités.
Est-ce que cela veut dire qu’aujourd’hui il nous manque un nouveau Mandela puisque finalement, aujourd’hui, l’image de l’Afrique du Sud est écornée, on était resté, dans le monde entier, sur l’unité, sur ces images après la mort de Mandela?
C’est ce qui rend au fond la situation encore plus insupportable et plus incompréhensible parce que l’Afrique du Sud a été présentée comme un modèle de société multiculturelle, multiraciale, égalitaire, démocratique, etc. Est-ce qu’il faudrait un nouveau Mandela ? Non, je ne pense pas que ça se pose en ces termes là. Ce dont ils ont besoin, ce sont de programmes de développement, d’une politique sociale plus ambitieuse, plus affirmée et, au fond, de répondre en fait à des besoins élémentaires de ces populations.
Est-ce que, comme les Européens, l’Afrique du Sud va être confrontée à un afflux massif de migrants venus d’Afrique ?
Elle l’est déjà...
Est-ce que cela va s’accélérer ?
Très certainement, sauf que le gouvernement sud-africain a renforcé, a durci sa politique, sa législation des flux migratoires. C’était d’ailleurs un thème de campagne de Zuma en 2014 parce qu’ils sont conscients de ce risque, mais je ne sais pas si cette politique sera efficace à terme.
Paul Coquerel, auteur de L'Afrique du Sud: Une histoire séparée, une nation à réinventer, paru chez Découvertes Gallimard.