Laurent Fourchard: au Nigeria «30% du budget revient aux gouverneurs»

Nouvelle journée d’élections au Nigeria ce samedi 11 avril, deux semaines après l’élection présidentielle. Il s’agit cette fois-ci d’élire la plupart des gouverneurs du pays, ainsi que les représentants de leurs assemblées locales. Après le succès de son candidat à la présidentielle, le parti d’opposition Congrès progressiste (APC) espère consolider sa victoire au niveau local. Il s’agit d’un scrutin important pour le Nigeria. Les gouverneurs des 36 États jouissent de pouvoirs étendus dans le pays le plus peuplé du continent. Le chercheur Laurent Fourchard répond aux questions d’Anne Cantener.

RFI : On a beaucoup parlé, il y a deux semaines, de l’élection présidentielle, mais ce scrutin n’est-il pas très important aussi parce que les gouverneurs ont beaucoup de pouvoir au Nigeria ?

Laurent Fourchard : Effectivement, ils reçoivent une bonne partie du budget fédéral. En fait 30% du budget total revient aux gouverneurs et ils ont comme principale charge de gérer ce budget, de faire les dépenses pour les services, les politiques publiques, gérer le personnel. Donc, il y a une autonomie de fonctionnement des Etats qui est très importante. Ces gouverneurs ont un rôle décisif dans les politiques qui sont menées à l’échelle des Etats.

Est-ce qu’on peut déjà imaginer à quoi vont ressembler les rapports de force après cette élection ?

Je serai très prudent parce qu’au Nigeria, la surprise est un peu la norme. Personne n’avait vu arriver la victoire de Buhari, elle a été quand même relativement inattendue. Alors que c’est quand même plus facilement prévisible dans le cadre d’une élection présidentielle, dans le cadre des élections locales, c’est encore plus compliqué parce qu’il y a plein d’enjeux locaux qui sont importants. Ceci dit, on va quand même tenter quelque chose, du fait qu’il y a eu un vote massif en faveur de l’opposition de Muhammadu Buhari, il y a un risque assez fort, car un nombre de détails qui étaient auparavant aux mains de l’ancien parti présidentiel, le PDP [Parti démocratique populaire] passe aux mains de la nouvelle coalition du gouvernement.

Une fois encore les frontières ont été fermées pour limiter le risque de violences. Lors de la présidentielle et des élections parlementaires, il y a deux semaines, le vote s’était plutôt déroulé dans le calme. Est-ce que cette fermeture des frontières est utile ?

Je ne crois pas, mais je crois que c’est aussi l’habitude au Nigeria à chaque élection de fermer les frontières en imaginant que les problèmes et les violences viendraient de l’extérieur. En fait, elles viennent de l’intérieur, elles viennent des principaux militants, des partis qui s’opposent. Donc ça ne change pas grand-chose sur le risque de violences. Le risque de violences est bien là pour les élections des gouverneurs, il est là à chaque élection. Et il y a déjà eu un certain nombre de violences dans certains Etats. Il y a certains Etats qui risquent quand même de subir des violences, notamment l’Etat de Rivers qui est le plus menacé apparemment, où il y a déjà eu un certain nombre de morts, apparemment en tout cas, dénoncés par l’APC, le parti de Buhari.

C’est un Etat stratégique qui a voté pour le président sortant Goodluck Jonathan, il y a deux semaines. Il y avait déjà eu des violences et un couvre-feu imposé. Est-ce que la situation peut dégénérer dans cette zone ce samedi ? Pourquoi est-elle aussi importante ?

Ce sont tous les Etats du Delta, - Akwa-Ibom, Rivers, Delta, Bayelsa -, qui votent depuis 1999 pour le PDP, l’ancienne majorité présidentielle. C’est le bastion du PDP et le PDP verrait d’un très mauvais œil que les quelques Etats qui lui restent passent à l’opposition. Or dans l’Etat de Rivers, le gouverneur actuel, le gouverneur sortant en fait, a fait défection pour la nouvelle coalition présidentielle il y a quelques mois. Donc c’est très tendu parce que, à la fois le PDP veut conserver l’Etat et parce que l’opposition pense qu’elle a des chances de gagner. Ceci dit, à la présidentielle il y a eu un vote massif pour le PDP. On ne sait pas s’il y a eu beaucoup de trucages, mais en tout cas, il y a eu un vote massif pour le PDP dans toute la région. Donc ces Etats devraient quand même rester au PDP probablement. Et les Etats qui risquent de voter pour APC, la nouvelle coalition présidentielle, c’est le Nord et le Sud-Ouest.

Le nouveau président qui dirige cette coalition a déclaré la guerre à la corruption pendant sa campagne et depuis, juste avoir été désigné. Il y a des années déjà la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC) estimait que quasiment tous les gouverneurs du pays étaient corrompus. Est-ce que Muhammadu Buhari peut vraiment intervenir à cet échelon ?

Il peut, c’est à l’usage qu’on va voir si son discours va se révéler efficace. Mais tous les gouverneurs ne sont pas corrompus contrairement à ce que l’on imagine. Beaucoup d’entre eux le sont, mais certains ne le sont pas tellement, en tout cas ils ne sont pas poursuivis pour corruption et réussissent à mettre en place des politiques dans leur Etat. Ça, c’est un premier point. Deuxième point : si le président actuel donne un réel pouvoir et une vraie autonomie à cette commission qui lutte contre la corruption à l’échelle du pays, il y a une possibilité de faire considérablement avancer les choses. Donc, à voir à l’usage.

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