La libération de l’otage néerlandais, Sjaak Rijke, ce lundi matin dans l’extrême nord du Mali. Est-ce que c’est un énorme coup de chance ?
Philippe Migaux : Non, c’est un vrai succès, mais en même temps, c’est la rançon d’un travail régulier qui est mené depuis trois ans par les forces spéciales françaises qui, dans le cadre de leur mission de neutralisation des réseaux terroristes au nord du Mali, démantèlent des caches régulièrement, interceptent des convois et prennent des campements qui abritent des personnages importants de la mouvance jihadiste au nord du Mali.
Avec la capture des deux des ravisseurs, on va pouvoir remonter des filières, on va pouvoir retrouver d’autres caches, peut-être d’autres katibas, d’autres campements ?
C’est possible. Ce qui est important aussi, c’est de voir que ce n’est pas un coup qui a été fait. Il y a eu, il y a un an, la libération de cinq otages maliens, dont quatre étaient membres du CICR [Comité international de la Croix-Rouge], qui avaient été interpellés en février et qui ont été libérés par une action des forces spéciales en avril de l’année dernière, au nord de Tombouctou.
Il y a cet otage libéré, mais a contrario, il y a ces attaques au mortier sur Kidal et Gao. Puis surtout cet attentat meurtrier à Bamako le 7 mars dernier, une première. Est-ce que ce n’est pas le signe que les jihadistes sont de plus en plus présents au Sahel ?
Non. Les jihadistes veulent absolument montrer qu’ils maintiennent une possibilité d’action. On a vu qu’al-Qaïda au Maghreb islamique faisait des attaques au mortier ou au lance-roquettes sur Kidal. On a vu également que les membres d’al-Mourabitoune restent les plus mordants puisqu’ils ont fait l’attaque sur La Terrasse [bar-restaurant] qui a provoqué la mort de cinq personnes en mars dernier à Bamako. Il y a eu ensuite l’attaque d’un convoi du CICR qui a amené l’arrêt des livraisons du CICR dans la région, le 30 mars à Gao. Puis on a vraisemblablement la responsabilité d’al-Mourabitoune dans l’enlèvement d’un expatrié roumain au nord du Burkina Faso samedi dernier, le 4 avril.
C’est d’ailleurs peut-être le signe que la chute de Blaise Compaoré, le Burkina Faso est peut-être moins sécurisé ?
Le territoire du Burkina Faso est aujourd’hui plus menacé parce que depuis longtemps, les gens d’al-Mourabitoune avaient des présences sur la région et qu’aujourd’hui, il s’agit de frapper large pour montrer qu’ils gardent cette capacité de nuisance.
Tout cela ne montre-t-il pas une présence de plus en plus forte des jihadistes au Sahel ?
Ce qu’il y a d’inquiétant, c’est l’arrivée de l’Etat islamique. Le 30 mars dernier, vous avez le huitième exemplaire de la revue de propagande en langue anglaise de l’Etat islamique « Dabiq » qui proclame que la charia va s’étendre sur toute l’Afrique. Et ils mettent en première page la photographie de la mosquée de Kairouan. Kairouan a été fondé en 670 par Oqba Ibn Nafi. C’était un des chefs de la conquête militaire en Afrique du Nord. Et le but, c’est de montrer que cette ville a pu être fondée par le jihad, Kairouan étant considéré souvent comme le quatrième lieu saint de l’islam, près de Tunis. Le message est clair : aujourd’hui après l’allégeance des milices combattantes en Libye et après l’allégeance de Boko Haram au Nigeria, la Tunisie a accédé au statut de terre de jihad par l’attentat commis contre le musée du Bardo le 18 mars. Et l’Afrique du Nord devient une nouvelle ère géographique où le califat, selon l’expression de l’Etat islamique, peut demeurer et s’étendre. Et les volontaires européens et maghrébins sont invités à rejoindre le jihad supplémentaire, en venant en Libye s’ils ne peuvent pas rejoindre demain la Syrie.
Est-ce qu’on peut dire que la Libye est devenue la plateforme jihadiste essentielle dans toute cette région ?
Comme l’avait dit le ministre de la Défense, c’est aujourd’hui le Hub (le centre) terroriste numéro un. Il y a, en Libye, 3 000 volontaires qui sont partis se battre en Syrie, qu’il y avait un affrontement entre milices jihadistes. Et bien aujourd’hui, l’Etat islamique paraît capable de s’imposer en termes de puissance dans ce nouvel Etat qui est un véritable chaos et sur lequel l’Etat islamique a montré sa capacité à réintroduire un ordre brutal.
Est-ce que ça veut dire que le groupe Etat islamique est en train de prendre le dessus sur les groupes al-Mourabitoune et al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ?
Al-Qaïda au Maghreb islamique est à bout de souffle, parce qu’il avait décidé après l’offensive Serval [l'opération militaire française au Mali] de se redimensionner vers un jihad dans un grand Maghreb, et en particulier en positionnant des troupes en Tunisie et en Libye. Et il est évident qu’aujourd’hui, qu’il se heurte de plein fouet à la nouvelle expansion de l’Etat islamique. Or on a déjà vu que des membres d’Aqmi ont fait allégeance à l’Etat islamique, on fait dissidence de l’organisation pour rejoindre l’Etat islamique. Ça va être plus compliqué pour l’Etat islamique vis-à-vis d’al-Mourabitoune qui n’est pas du tout dans la même logique de combat que celle du califat. Mais en même temps, des cadres al-Mourabitoune et en particulier Mokhtar Belmokhtar sont installés au sud de la Libye et ils vont rentrer en plein dans la zone d’expansion de l’Etat islamique. Donc on va avoir aujourd’hui un redimensionnement du jihad par la nouvelle présence de l’Etat islamique.
Le Mali, la Libye, entre ces deux pays, il y a le Niger. Est-ce que ce pays est toujours aussi exposé que l’an dernier ?
Il est encore plus exposé. Le Niger est pris en tenaille entre d’un côté au nord al-Mourabitoune et al-Qaïda au Maghreb islamique, et au sud Boko Haram. Mais on a vu qu’en décembre dernier, des membres d’al-Mourabitoune, montés sur des motocyclettes, ont pu attaquer à 150 kilomètres de la frontière malienne des postes militaires faisant dix morts chez les troupes nigériennes. Puis au sud, l’offensive que mènent les Nigériens au côté des Tchadiens contre Boko Haram fait qu’il y a des attentats de rétorsion. Et il est à craindre que demain, Niamey soit à son tour visé.
Les manifestations anti-Charlie à Niamey et Zinder à la mi-janvier, est-ce un terreau pour de futures actions jihadistes et terroristes ?
C’est évident, la population n’est pas la même. Mais on va voir des échos au sein de cette population avec le nouveau positionnement de l’Etat islamique sur la région.