La solution en Libye doit être politique, selon l’Algérie

Faut-il lancer une opération militaire internationale en Libye ? Le Niger et le Tchad sont pour, l'Algérie est contre. Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, était ce week-end à Paris pour participer à la marche contre le terrorisme. Hier, vous l'avez entendu sur la question de l'islam. Aujourd'hui, il explique la position de son pays sur la Libye et sur les discussions inter-maliennes qui n'en finissent pas.

RFI : Les grands foyers jihadistes ce sont la Syrie, l’Irak, le Yémen mais aussi la Libye qui est à vos frontières. Quelle est la solution, elle est politique ou elle est militaire ?

Ramtane Lamamra : Prenons garde d’abord à ne pas favoriser les amalgames. Beaucoup ont tendance, dans les situations de conflit, à essayer d’étiqueter leurs adversaires et à les diaboliser. Maintenant, qu’il y ait des groupes qui puissent penser que l’utilisation et l’exploitation du discours religieux pourraient faire prévaloir leur cause, ceci est incontestable et nous le voyons un peu partout. Mais néanmoins, il est clair que si la communauté internationale se mobilisait pour apporter des solutions politiques équilibrées, des solutions qui fondamentalement rendent la parole et la décision au peuple - il s’agit de solutions qui doivent être démocratiques, qui doivent être consensuelles-, il est clair que ceci constitue un bon moyen pour isoler les extrémismes précisément et leur ôter cette prétention à la représentation d’une foi ou d’une conviction religieuse particulière. Oui, nous retrouvons la dimension terroriste au Sahel, en Libye mais il s’agit de ne pas en faire un épouvantail, de ne pas en faire l’arbre qui cache la forêt. Il y a souvent d’autres problèmes qui nécessitent des solutions politiques.

Mais ce que disent les présidents du Niger et du Tchad, c’est qu’il est impossible de dialoguer avec les milices islamistes qui tiennent notamment Tripoli et Benghazi et qu’il faut une intervention militaire internationale ?

Franchement je ne sais pas si les présidents du Tchad et du Niger s’expriment sur les milices qui appartiennent à l’Aube, l’organisation « l’Aube de Libye », Fajr Libya, ou s’ils traitent de certains groupes terroristes qui sont détectés dans la partie Sud du territoire libyen, c'est-à-dire dans le voisinage immédiat des territoires tchadiens et nigériens. Il faut un dialogue avec tous ceux qui sont prêts à répudier la violence, avec tous ceux qui sont prêts à accepter l’ordre, avec tous ceux qui sont prêts à favoriser un système démocratique où l’alternance serait une règle du jeu essentielle.

Et, si nous regardons de près l’identité de ces acteurs en Libye, notamment ceux qui sont dans Fajr Libya, nous constatons qu’ils étaient dans les mêmes tranchées, sur les même fronts dans la confrontation avec le régime du défunt colonel Kadhafi. S’ils étaient compagnons d’armes pendant la période de la lutte contre le régime défunt, on peut penser qu’ils avaient des objectifs communs et que, en tête de ces objectifs, il y a le souci, le souhait, l’aspiration à créer une Libye meilleure, donc une Libye démocratique, une Libye ouverte à tous les Libyens. Certains peuvent avoir d’autres ambitions mais dès lors qu’il y a volonté d’imposer par la force, par la brutalité un courant de pensée, il y aurait un problème à ce niveau là. Concrètement, il y a des groupes terroristes en Libye : les Nations unies et le monde entier en ont identifiés certains qui figurent sur des listes d’entités terroristes du Conseil de sécurité. Il y a donc la nécessité de veiller à ce que ces entités terroristes soient connues en tant que telles et soient dissociées des forces politiques qui doivent pouvoir discuter à travers le dialogue, aller vers la réconciliation nationale.

Y compris des chefs politiques de Fajr Libya, l’Aube de la Libye ?

Les chefs politiques de Fajr Libya étaient hier les gouvernants de ce pays et avant-hier des compagnons d’armes de leurs frères et compatriotes de Tobrouk dans la lutte contre Kadhafi. Pour sortir d’une crise de cette nature, je pense qu’il ne faut pas pratiquer l’exclusion, il n’y a que les groupes terroristes, du moins identifiés comme tels, qui s’excluent d’eux-mêmes de tout processus politique.

Les négociations entre le gouvernement malien et les groupes armés du Nord-Mali traînent en longueur, elles sont suspendues depuis trois mois. Est-ce que l’on va vers un échec ?

Je ne crois pas qu’il soit juste de dire que les négociations sont suspendues. Alors le quatrième round de négociations s’est terminé fin novembre et les parties maliennes sont reparties avec un projet d’accord, de paix et de réconciliation. Il a été considéré à juste titre, me semble t-il, que laisser du temps aux différentes parties pour intérioriser les différentes composantes de ce document et procéder à toutes les consultations nécessaires était de nature à faciliter le progrès lorsque les négociations reprendraient. En parallèle, il y a un certain nombre de consultations bilatérales pour préparer davantage les parties à faire les arbitrages sur les deux, trois points importants que nous considérons comme les points qui, une fois réglés, faciliteraient la finalisation de cet accord de paix et de réconciliation. Nous avons bon espoir que ces négociations reprendront sous une forme ou sous une autre et que, au mois de février, vous entendrez encore parler de la cinquième série des négociations substantielles. Nous espérons comme beaucoup d’autres que ce cinquième round sera décisif.

Et de ce point de vue, que pensez-vous du remplacement de Moussa Mara par Modibo Keïta à la tête de la primature au Mali ?

C’est une question interne au Mali, je n’ai pas eu le privilège de rencontrer monsieur Mara mais je connais le Premier ministre Modibo Keïta et j’ai beaucoup apprécié ses conseils, sa sagesse et j’espère que l’équipe de négociation du gouvernement malien bénéficiera de cette sagesse.

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