Qui tient le pouvoir dans votre pays aujourd’hui ?
Othman Bensassi : J’ai l’impression que personne ne tient le pouvoir réellement. Il y a le Parlement à Tobrouk, à l'est de la Libye, qui est légitime, qui est élu par la population. Mais malheureusement, il ne contrôle pas tout l’ensemble du pays. Ici à l’ouest à Tripoli, nous avons l’ancien Congrès qui reste toujours en place et qui prétend lui aussi d’être le responsable du pouvoir en Libye. Et personne n’a ce contrôle de l’ensemble de la Libye.
Il y a donc aujourd’hui deux Parlements, celui de Tobrouk issu des législatives du mois de juin et celui de Tripoli qui représente le Parlement précédent. Pourquoi dites-vous que c’est celui de Tobrouk qui est le plus légitime à vos yeux ?
Le fait que c’est le dernier élu par la population. Et l’ancien Congrès normalement, son mandat était fini depuis février 2014. Le CNT en 2012 avait laissé un pays avec toutes les représentations diplomatiques, toutes les ambassades du monde entier étaient ici. Aujourd’hui, il ne reste plus rien de tout cela. Il n’y a plus un seul représentant diplomatique à part l’ambassadeur italien, qui est resté des pays européens. Et même les pays arabes sont partis avec leurs ambassades. Il ne reste plus d’entreprise étrangère. En fait, il ne reste plus rien du tout. Le pétrole est actuellement à deux cent mille barils par jour alors qu’on était à un million cinq. Les coupures d’électricité vont jusqu’à dix, douze heures par jour. En même temps, le budget de la Banque centrale est bloqué depuis plus de huit mois. Donc nous n’avons pas de budget dans le pays.
Derrière le Parlement de Tripoli, il y a les milices pro-islamistes qui contrôlent non seulement la capitale, mais aussi Misrata et Benghazi. Ils veulent même s’emparer aujourd’hui des terminaux pétroliers de la région de Syrte. Est-ce qu’elles sont en mesure de gagner la guerre ?
J’ai l’impression que oui d’après ce qu’on voit, tout ce qui se passe autour de nous, ici à l’ouest de la Libye et dans la région proche de la ville de Zouara, de Sabratha, ils gagnent. Ils sont proches d’une base prise par ces groupes. Et en même temps, avec l’offensive sur la zone pétrolière ils sont en mesure d’occuper Al-Sedra, le port principal d’exportation le plus important. J’ai l’impression qu’ils gagnent du terrain dans la région de l’ouest de la Libye. Ensuite à l’Est, il y a beaucoup de contradictions depuis quelque temps. Des fois, ils disent que c’est l’armée représentée par ce monsieur Haftar qui gagne le terrain. Des fois ce sont les islamistes, il reste encore le va-et-vient entre les deux.
Est-ce que l’ancienne armée gouvernementale du général Haftar peut encore résister ?
Très difficilement parce qu’en fait, si les adversaires, ce qu’on appelle les islamistes, gagnent la guerre à l’ouest, toutes les troupes vont partir vers l’est et ça va être une affaire différente parce que là aujourd’hui Misrata, ils sont occupés un peu ici à l’ouest, à savoir que les milices de Misrata sont à l’ouest et travaillent sur cette zone de montagnes. Mais quand ils auront terminé avec cette zone, ils vont se diriger vers l’est de la Libye, vers les zones pétrolières et vers la ville de Benghazi là où il y a les islamistes.
Vers la zone de Benghazi où il y a non seulement les islamistes, mais, dit-on, des membres de l’organisation Etat islamique venu de Syrie et d’Irak ?
Tout à fait. Il y a vraiment des extrémistes, ceux qu’on appelle Daesh (EI) en Irak, etc., qui, certains sont arrivés ici et en fait ils se sont bien montrés dans la zone de Derna et même à Tripoli, à un moment donné. Donc, il y a vraiment un risque, un gros risque en fait de dérapage total aujourd’hui.
Et ces milices pro-islamistes qui prennent le dessus, elles sont soutenues par qui à l’étranger ?
Actuellement, il y a moins de soutien. A un moment donné, il y a des contacts qui ont été pris avec le Qatar, avec la Turquie, avec le Soudan. Et j’ai l’impression que ces trois pays ont arrêté le soutien aux milices islamistes et il me semble qu’il y a une pression de la part des pays occidentaux. Et en même temps, le blocage de l’arrêt du budget réduit aussi un peu la force de ces milices.
Les présidents du Niger et du Tchad souhaitent une intervention militaire internationale dans votre pays. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Ce sera toujours difficile dans l’état actuel des choses parce que ce sera une guerre en fait générale, les islamistes vont s’opposer et vont s’affronter directement à ces forces internationales. Et il va y avoir un désordre total. Déjà que nous avons ce désordre aujourd’hui, on va en rajouter encore. La meilleure solution aujourd’hui, c’est d’arriver à un processus complet de paix et de s’entendre avec toutes ces forces qui existent sur le terrain. Mais malheureusement, Bernardino Leon [chef de la mission des Nations unies en Libye (Unsmil)] a pratiquement échoué ces derniers temps, parce qu’hier, c’était la réunion de réconciliation, et malheureusement elle n’a pas eu lieu et elle a encore été reportée. Alors, je ne sais pas exactement comment l’ONU gère ce dossier aujourd’hui.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou a cette phrase : « Je ne vois pas comment les milices terroristes qui sont armées vont créer les conditions de la réconciliation entre les Libyens ».
En fait, les personnes qui contrôlent toutes ces milices en Libye ne sont pas très nombreuses. Et il y a toujours moyen de les réunir et toujours moyen de discuter avec elles.
Vous voulez dire qu’il y a les milices pro-islamistes avec qui on peut discuter ?
Je ne parle pas avec bien sûr des extrêmes extrêmes qu’on appelle Ansar al-Charia à Benghazi, mais ici à Tripoli, les milices qui se battent ne sont pas vraiment islamistes. Les dirigeants oui, mais les chefs de guerre qui sont sur le terrain ne sont pas du tout islamistes. Donc il y a moyen de s’arranger ici dans la région de l’ouest. Personnellement, j’ai rencontré beaucoup de chefs militaires qui font la guerre actuellement sur place à l’ouest et je sais très bien qu’ils ne sont pas islamistes du tout. Hier soir, j’en ai rencontré quelques-uns et on avait parlé de ce problème. La tendance générale n’est pas islamiste et ils attendent seulement de finir avec cette histoire de groupes de Zintane qui sont retranchés dans la montagne du Nafusa. Ensuite, ils vont régler le problème entre eux et vont nettoyer un peu le camp de l’ouest de la Libye avec ses problèmes islamistes.