Mehdi Jomma: «Ma mission c'est d'assurer l’alternance en Tunisie»

Le Premier ministre tunisien sortant Mehdi Jomaa débute ce lundi 5 janvier, une visite en France et aux Etats-Unis pour « préparer le terrain » au prochain gouvernement et « rassurer sur l'avenir du pays ». Qui va lui succéder ? Quel regard a t-il sur le futur gouvernement qui doit être nommé ? Quel message va t-il faire passer aux Nations unies à New York sur la question libyenne ? Mehdi Jomaa est l'invité de RFI.

RFI : Pourquoi cette tournée Paris, New York, Washington en quelques jours alors que dans quelques heures vous allez rendre votre tablier de chef de gouvernement ?

Mehdi Jomaa : C’est dans une logique qui est simple et qui est la continuité de l’Etat. C’est aussi le moment de faire le point et puis de dire que les choses en Tunisie marchent mieux, qu’il faut continuer la coopération avec la Tunisie, et plutôt davantage. C’est le moment réellement d’investir sur le plan économique, c’est la clé de la pérennité et de la réussite à long terme de cette expérience. Nous sommes en train de fonder une nouvelle démocratie, elle est très jeune, donc il faut lui créer des traditions et dans ses traditions, la plus importante c’est d’assurer l’alternance, c’est pour ça que je ne souhaite pas rester au gouvernement.

Vous avez été contacté ?

Oui, j’ai été contacté à plusieurs reprises, mais je pense que ma meilleure contribution c’est justement d’assurer cette alternance, je vais m’arrêter et je me consacre maintenant à bien préparer le terrain et bien préparer l’arrivée du nouveau gouvernement.

Qui sera le futur prochain chef de gouvernement tunisien ?

C’est la majorité qui va le choisir, ce n’est pas moi.

Des noms circulent ?

On parle de beaucoup de noms, mais je ne suis pas comptable de ces noms.

Est-ce que si un ancien ministre de Zine el-Abidine Ben Ali était chef de gouvernement, ce serait un mauvais signal pour vous ?

Pour moi, il est important de prendre des gens qui font le consensus, qui n’ont pas de problème avec la justice, les gens qui n’ont pas de problème avec la société, peu importe leur background idéologique, ce n’est pas la question. C’est la compétence des gens acceptés par le peuple qui peuvent nouer un rapport de confiance nécessaire pour essayer d’entraîner les Tunisiens vers un peu plus d’efforts et un peu plus de réformes. Vu les challenges qui attentent le pays, nous avons besoin réellement d’une équipe au gouvernement, forte qui fait consensus.

Est-ce que dans cette équipe, il faudrait que des membres du parti islamique Ennahda soient nommés, Ennahda qui est arrivé en 2e position aux législatives, qui reste un des partis majeurs du pays ? Est-ce qu’il faut les associer ou est-ce qu’on peut permettre de les mettre de côté ?

Je vous dis les principes c’est un large consensus. Même quand on a une opposition, c’est de rester ouvert sur l’opposition, on n’a pas besoin de clivages très forts, comme ça a pu l’être les années passées. Après quelle composition de gouvernement ? Ca, ça fait partie des négociations qui se font dans toute démocratie surtout une démocratie à forte dose parlementaire.

Si vous aviez un conseil à donner à votre futur successeur, qui n’est pas encore nommé ?

C’est de l’avertir que ça sera dur, qu’il faut qu’il soit prêt pour des longues journées, c’est épuisant et passionnant en même temps. Je conseille de garder de la sérénité, d’avoir beaucoup de courage et je lui souhaite bonne chance.

Monsieur le Premier ministre, en milieu de semaine, vous avez rencontré monsieur Ban Ki-moon à New York, aux Nations unies, c’est pour parler de la Libye ?

C’est pour parler des questions internationales, plus particulièrement de la Libye, qui est un problème épineux pour nous tous et surtout des riverains de la Méditerranée et plus particulièrement la Tunisie.

Le président nigérien, Mahamadou Issoufou a réitéré encore une fois, ces derniers jours, sa demande d’intervention en Libye. Est-ce que pour vous c’est la solution ?

Nous avons une position qui est très claire en Tunisie, nous ne souhaitons pas d’intervention étrangère en Libye. Nous poussons surtout, avec les pays du voisinage, pour un dialogue entre les différentes factions libyennes. Mais en même temps, nous savons à quel point c’est critique et dangereux de développer des foyers de terrorisme. C’est là qu’effectivement, nous sommes pour une action, mais sous l’égide internationale. C’est l’une des questions que l’on a discutées à l’ONU, voir quel type d’intervention pour confiner, pour essayer de réduire la menace terroriste.

Donc une intervention minimale pour aider au dialogue ensuite ?

On n’a pas vu d’autres expériences qui ont bien marché en dehors du dialogue, à commencer par la Tunisie, ces derniers temps. Mais ailleurs dans le monde, toutes les expériences où on a essayé de régler des problèmes de ce type-là que par la force militaire, on n’a jamais réussi.

L’expérience tunisienne est difficile aussi. Vous n’avez pas réussi pendant cette transition à venir à bout des jihadistes qui sont retranchés au mont Chaambi à l’ouest du pays. Quelle analyse faites-vous de cet échec ?

Tout d’abord, je commence par féliciter notre institution sécuritaire et militaire parce qu’ils ont réussi dans le combat contre le terrorisme, donc nous avons réussi, la menace reste là. Mais je peux vous assurer qu’il y a eu des pas de géant et nous a réduit la menace, aujourd’hui, dans des montagnes. On les a coupés de toutes arrières bases logistiques, nous avons réussi à démonter pas mal d’attentats et fort heureusement, jusqu’à maintenant, nous n’avons pas un seul étranger qui a été touché.

Mais il y a toujours des militaires qui perdent la vie dans ce combat-là ?

Sur le front, dans les montagnes, tout à fait, mais pas dans les villes où on a chassé le terrorisme du quotidien des Tunisiens. C’est une guerre de longue haleine, il ne faut jamais crier victoire, nous rentrons dans une guerre de longue durée. Nous tous. Plus aucun de ces pays n’est à l’abri de ces phénomènes, nous sommes dans un combat en commun contre un ennemi commun.

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