Charles Konan Banny: «Les violences n’ont pas de couleur politique»

Les Ivoiriens vont peut-être pouvoir regarder en face l’horreur des conflits qui ont émaillé son histoire récente. Trois ans après sa mise en place, la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR), lance ses premières audiences publiques. Elles débutent ce lundi 8 septembre. Plusieurs dizaines de personnes raconteront en public ce qu’elles ont subi au cours des différentes crises depuis 1990. Des criminels présumés devraient également venir demander pardon. Ces séances organisées à Abidjan doivent aider le pays à exorciser ses démons. Le président de la CDVR, Charles Konan Banny répond à Sébastien Németh.

RFI: Quel est l’intérêt de ces audiences publiques dans le processus de réconciliation?

Charles Konan Banny: Pour que la nation ivoirienne rejette définitivement, pour qu’elle puisse dire plus jamais cela. il est bon que la nation se regarde dans ce miroir pour savoir que ces choses qui sont inimaginables se sont produites dans notre pays. Et le fait de catharsis nous amène à produire devant la nation une partie des horreurs dont on leur demande de faire la typologie. Le peuple de Côte d’Ivoire va écouter, voir, entendre des cas, pour certains insoutenables. Et pourtant c’est la réalité. Si cela peut l’aider à comprendre qu’il n’y a rien de bon dans la violence, ce serait une excellente chose.

Très concrètement, comment ces audiences vont-elles se dérouler?

Soixante trois mille victimes sont venues librement et c’est dans ce fichier que nous avons choisi les cas que nous baptisons d’« emblématiques ».

Pourquoi ne choisir que quelques cas «emblématiques». Est-ce qu’il n’y aura pas un goût d’inachevé à la fin?

Notre rôle, ce n’est pas de faire du nombre, c’est de faire de la catharsis. C’est de produire un effet de réprobation, de répulsion, ce n’est pas du cinéma, pour que les Ivoiriens rejettent leurs violences.

Comment choisissez-vous ces cas parce que c’est compliqué, il y avait différents camps?

Ce n’est pas parce que c’est compliqué que ce n’est pas possible. Choisir ces cas, je ne veux pas déflorer, je ne veux pas faire du voyeurisme. Un cas «emblématique» : une dame à qui on inflige l’horreur d’assassiner son mari, qu’on le découpe. Je ne veux pas le dire. On oblige les gens à faire du cannibalisme. Je ne veux pas faire du voyeurisme. Faites-nous confiance. Ce sont les cas les plus horribles. Nous voulons qu’à partir de ces cas-là, ils considèrent que la guerre est à éloigner de leur vie.

A la différence de l’Afrique du Sud post-apartheid, la Côte d’Ivoire n’appliquera pas le principe « aveux contre amnistie ». Quelles motivations alors pour les criminels présumés de venir se confesser en public?

Bonne question! Nous voulons persuader, convaincre et non contraindre que nonobstant cela, il est souhaitable qu’ils viennent participer à ce processus qui doit permettre à la Côte d’Ivoire de trouver un nouveau chemin. Notre mandat, c’est de réconcilier ce qui a priori peut paraître irréconciliable. Nous souhaitons que la victime ait la force de pardonner à son bourreau. Si son bourreau a le courage et a l’humilité nécessaire pour lui demander pardon. Maintenant l’aspect justice pénale n’est pas de notre compétence.

La CDVR a pris du retard dans ses travaux. Son mandat a été prolongé d’un an. Est-ce que ces audiences publiques n’arrivent pas un peu tard?

C’est vous qui le dites ! Nous n’avons pris du retard sur rien du tout. Personne ne pouvait dire que la mission de réconciliation était une oeuvre de longue haleine, pouvant se faire en deux ans. Et ce ne sont pas des querelles de savoir si la CDVR a travaillé vite, ça n’a aucune espèce d’importance compte tenu de l’ampleur de la tâche et la souffrance des Ivoiriens auxquels nous allons essayer d’apporter quelques remèdes.

Parmi les finalités du processus, il y a le versement d’indemnités. Comment ça peut se passer?

Ce sont les 63000 personnes qui se sont fait auditionner et c’est ce fichier-là que nous allons mettre à la disposition du chef de l’Etat avec des propositions de réparation. Il y a de la restauration, il y a de réhabilitation. Il y a toute sorte de choses pour que les citoyens qui ont souffert soient réintégrés dans la société. La Commission n’est pas agent d’exécution, c’est à elle de décider qui va appliquer cela et comment elle va s’organiser pour trouver les ressources nécessaires. Je crois d’ailleurs qu’elle l’a annoncé qu’elle va instituer un fonds dédié à la réparation des victimes.

Est-ce que vous pensez que le pays est allé un peu plus vers la réconciliation grâce à la Commission?

Cette phase-là de réconciliation, il faut l’aborder avec beaucoup d’humilité. Donc ce n’est par les leçons que nous devons tirer que nous allons réapprendre, décider peut-être de revivre ensemble. La Commission a essayé de contribuer en pansant les plaies, en proposant réparation, en identifiant les causes, en faisant des recommandations, mais je ne peux pas moi, mettre ma main au feu, faire partie de là la réconciliation. Il y a une route de longue haleine.

On reproche aux autorités ivoiriennes de pratiquer une justice des vainqueurs. Comment dans ce contexte permettre une réconciliation?

Ça, ce sont des mots. La violence n’a pas de couleur politique. Les balles n’ont pas de camp. Les machettes n’ont pas de camp. C’est pour cela que nous faisons tout pour que si, il y a des auteurs qui appartiennent à des obédiences, que ces auteurs puissent être traités de la même manière et nous les encourageons à venir participer au « tribunal du pardon » quelque soit leur couleur politique, ethnique, religieuse ou autre.

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