Procès Wade: les arguments des deux parties

Karim Wade, celui qui fut sous la présidence de son père Abdulaye Wade un « super ministre » des Transports, des Infrastructures et de l'Energie - ce qui lui a valu le surnom de « Ministre du Ciel et de la Terre » - va devoir répondre aux cotés de sept autres prévenus d'enrichissement illicite. Deux invités aujourd'hui pour en parler : Simon Ndiaye, l'un des avocats de l'Etat sénégalais et Amadou Sall, l'un des défenseurs de l'ancien ministre. 

■ Maître Simon Ndiaye: « Il faut justifier les montants figurant dans le dossier »

RFI : Maître Simon Ndiaye , à quoi correspondent exactement les 178 millions d’euros qui figurent dans le dossier d’accusation de Karim Wade?

Maître Simon Ndiaye : Ces montants correspondent à des biens mobiliers ou immobiliers. Ce sont donc des actions dans les entreprises, des comptes bancaires, des véhicules...

Des sommes qui se trouveraient également dans des paradis fiscaux?

Des sommes qui se trouveraient dans des paradis fiscaux, notamment à Monaco. On remarque une distorsion énorme entre les revenus du fisc de Karim Wade, son train de vie, et les biens qui lui sont attribués. Les sept prévenus ont des complicités énormes au sein de l’administration. Lorsqu’on leur pose des questions, ils sont complètement coincés et ça a d’ailleurs été la stratégie de Karim Wade, qui a la fin de l’instruction, a fini par ne plus répondre aux questions qui lui étaient posées, a diabolisé les juges, crié au procès politique pour faire dilatoire.

Les défenseurs de Karim Wade parlent, eux, d’un patrimoine de deux millions d’euros qui auraient été honnêtement gagnés?

Karim Wade a peut-être gagné deux millions d’euros honnêtement. Il faut qu’il justifie comment ont été alors gagnés les autres millions qui ont été trouvés. Quand on regarde ses fonctions antérieures de banquier, conseiller d’Abdoulaye Wade, président de la République, au conseil de surveillance de l’Anoci [l'Agence nationale de l'organisation de la conférence islamique], puis en tant que ministre, on n’arrive pas aux montants que ses défenseurs indiquent.

Comment, au fil de l’instruction en un an et demi, est-on passé de plus d’un milliard d’euros qui auraient été détournés selon la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei) à ces 178 millions aujourd’hui?

L’important c’est de dire que ceux qui ont viré les fonds publics doivent rendre des comptes et que Karim Wade soit coincé aujourd’hui sur un montant d’un milliard d’euros, d’un million d’euros ou même de cinq euros, cela m’importe peu. L’important pour moi, c’est le symbole.

Ce décalage n’alimente-t-il pas les soupçons d’une accusation un peu expéditive?

Il peut l’alimenter. Il n’invalide pas l’instruction. Je préfère qu’il soit condamné pour un million d’euros et de manière inattaquable plutôt que de retenir des montants plus importants dont l’origine serait discutable.

Plusieurs ONG de défense des droits humains dont la Ligue sénégalaise des droits de l’homme ont dénoncé ces derniers temps une juridiction d’exception à propos de la Crei ne garantissant pas le droit à un procès équitable. Cette cour, a-t-elle vraiment travaillé comme si Karim Wade était un citoyen lambda?

Karim Wade a bénéficié d’avocats. Ses avocats, contrairement à ce qu’ils soutiennent, ont eu accès au dossier très tôt. Il a été traité aussi bien ou voire mieux que les citoyens ordinaires.

L’Etat sénégalais veut faire de ce procès un exemple?

S’il peut servir d’exemple à ceux qui ont gouverné, ceux qui gouvernent aujourd’hui, et à ceux qui viendront, ça serait une bonne chose pour le Sénégal et pour l’Afrique.

En juin dernier, le parquet financier de Paris a classé sans suite la plainte pour enrichissement illicite déposée par le Sénégal contre Karim Wade. La procédure française est-elle pour autant éteinte?

La procédure française n’est pas du tout éteinte. L’Etat du Sénégal se réserve le droit de se constituer partie civile. Les investigations, qui ont été faites, ont été extrêmement incomplètes. Elles ont consisté uniquement à répertorier les biens. Si on fait le parallèle avec d’autres procédures concernant certains dirigeants d’Afrique centrale, la justice française avait fait l’effort d’aller rechercher l’origine du financement.


 ■ Amadou Sall : « C’est un règlement de compte politique »

RFI: Maître Amadou Sall, dans quel état d’esprit, Karim Wade aborde-t-il ce procès?

Maître Amadou Sall : Karim Wade est dans un très bon état d’esprit. Il est surtout dans un état d’esprit de celui qui a la conscience d’avoir fait son devoir et qui ne se reproche rien.

Vous l’avez vu récemment en prison?

Je le vois presque tous les jours. Il est serein. Voilà quelqu’un qui n’a rien fait, qui est en prison. Voilà quelqu’un dont une juridiction internationale dit qu’il n’a rien à faire en prison et qu’il est en prison.

La juridiction dont vous parlez, c’est la cour de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao)?

La cour de la Cédéao qui a plusieurs fois appelé sur cette question.

Vous contestez depuis le début la légalité de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) qui avait été réactivée en 2012. C’est ce que vous ferez aussi à l’audience?

On le fera, on ne cessera pas de le faire. La seule chose qui nous intéresse, c’est que les Sénégalais nous entendent et que les Sénégalais en arrivent à la conclusion, la seule qui s’impose, que c’est un règlement de compte politique.

Concrètement, que pouvez-vous dire aux Sénégalais qui nous écoutent et qui ont un doute sur l’origine des sommes appartenant à Karim Wade?

Les Sénégalais n’ont pas un doute sur l’origine des sommes. Les Sénégalais ont un doute sérieux sur la réalité de l’accusation. Pas un kopeck, je dits bien pas un kopeck, n’a été prouvé. Je veux dire au demeurant que le pôle financier du parquet de Paris qui a épinglé le président Sarkozy, qui a poursuivi le président Jacques Chirac, ce même pôle financier est arrivé pour ce qui concerne Karim Wade à un classement sans suite.

Les deux millions d’euros qui se trouvent sur le compte de Monaco appartiennent bien à Karim Wade?

Il fallait expliquer au président Macky Sall dans une lettre dont nous détenons la copie, que c’est de l’argent licite qui appartient à son père qui le lui a confié au cas où. Et cet argent est dans ce compte-là depuis 2001. Et pendant que nous y sommes, le président Macky Sall n’a qu’à s’expliquer sur les 8 milliards sur sa déclaration de fortune. Il n’est pas aussi net qu’il le dit.

Karim Wade n’a pas payé d’impôts sur ces deux millions?

Je ne réponds à cette question qui est un autre débat. S’il n’a pas payé d’impôts, que les impôts le poursuivent.

Il y a aussi ces dons d’une monarchie du Golfe. Vous pensez que ce n’est pas répréhensible quand on parle d’un ministre d’Etat?

Il n’y a pas de dons dans ce dossier-là. C’est de la légende. Il était poursuivi pour un milliard d’euros. Tout ce qui est excessif devient dérisoire.

La gestion ministérielle de Karim Wade, cela intéresse les Sénégalais indépendamment de ce procès. Vous pensez que Karim Wade n’a strictement rien à se reprocher?

Karim Wade n’est pas poursuivi pour des faits de gestion. Il est poursuivi pour des faits de corruption et des faits d’enrichissement illicite. Et il appartient à l’accusation, c’est-à-dire à l’Etat du Sénégal, d’établir la réalité d’un enrichissement. Jusqu’au moment où je vous parle, ce sont des supputations, des déclarations, ce sont des affirmations.

Mais pour quelles raisons, l’Etat irait ainsi à un procès s’il n’a aucune preuve?

Que faites-vous de l’intelligence? On a un Etat qui n’est préoccupé que par la politique politicienne, que par sa survie. Evidemment il perd la raison. Nous avons un Etat qui a perdu la raison.

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