RFI : Les Shebabs de Somalie multiplient les attentats au Kenya, c’est un signe de force ou de faiblesse ?
Mahamat Saleh Annadif : Les deux ! Un signe de faiblesse parce que depuis une quinzaine d’années, la Somalie était devenu un Etat néant. A la suite de cet effondrement, des guerres claniques ont pris la place et se sont transformées ou ont été récupérées par al-Shabab mais depuis l’intervention de l’Union Africaine en janvier 2007, les choses ont commencé à se rétablir. Mais quand je dis également que c’est une force, c’est parce que depuis 4 ou 5 ans, al-Shabab a fait son allégeance à al-Qaïda.
Vous savez que la Somalie a plus de 3 000 km de frontière maritime… à l’heure actuelle, où il y a même des étrangers qui sont venus renforcer al-Shabab, ils cherchent à trouver des issues au niveau de la sous-région. Vous avez entendu ce qui se passe au Kenya, ce qui s’est passé dernièrement à Djibouti, peut-être bientôt en Ethiopie et dans d’autres pays. Il y a un signe de faiblesse qui est réel, mais il y a un renforcement par le fait que, moi j’estime, la communauté internationale n’a pas pris la mesure du danger d’al-Shabab, parce que al-Shabab ne doit pas être spécialement combattu que par les Somaliens, il faut une réponse collective, régionale, peut-être dans un premier temps mais également internationale. La position géostratégique de la Somalie fait que les enjeux sont extrêmement importants.
Neuf mois après l’attaque du Westgate de Nairobi, est-ce qu’on a identifié aujourd’hui le cerveau, est-ce qu’on sait si l’ordre a été donné en Somalie ou ailleurs ?
Ce qui est sûr, c’est que l’ordre vient d’al-Shabab.
Est-ce qu’il y a des ramifications entre al-Shabab et d’autres entités terroristes ? On pense évidemment à Boko Haram au Nigeria.
Les informations que nous avons, c’est qu’il y a des connections vérifiées, démontrées entre al-Shabab et Boko Haram, il y a également des passerelles entre ce qui se passe au Mali et en Somalie. D’après les dernières informations, il y a des infiltrations en République Centrafricaine des premiers éléments précurseurs d’ al-Shabab.
Voulez-vous dire Mahamat Saleh Annadif, que la réponse militaire est bonne avec ses 22 000 soldats de l’AMISOM mais que la réponse sécuritaire, la réponse en terme de d’échange de renseignement est insuffisante ?
Exactement ! Cette réponse militaire n’a pas été accompagnée de sa dimension politique qui devrait légitimement l’accompagner, à savoir comment aider les Somaliens pour qu’ils réconcilient les clans. La guerre est devenue asymétrique et la solution à une guerre asymétrique, ce sont les échanges d’informations et cette dimension de collaboration entre les Etats de la région, je la trouve insuffisante.
En octobre dernier, au niveau de la mission, nous avons réuni pratiquement tous les services de renseignement des pays voisins, on a bien fait le constat que la clé réside dans cet échange d’informations. Malheureusement, j’ai l’impression que ça n’a pas été suivi des faits. Il manque de la coordination, il manque de vrais échanges d’informations. Et quand je parlais de la dimension politique, toutes ces mesures doivent être engagées de façon concomitante. L’option militaire, nous sommes en train de le faire (mais) il manque une dimension politique.
Par exemple si demain, quelques leaders d’al-Shabab qui ne sont pas poursuivis par la justice internationale et renoncent au terrorisme : jusque-là, nous n’avons pas un plan politique pour mener une réconciliation, des discussions avec les leaders politiques d’al-Shabab.
L’une des vedettes de ce sommet de Malabo, sinon la vedette, c’était le nouveau président égyptien Abdel Fatah al-Sissi qui a dit que son pays était prêt à aider l’Afrique à lutter contre le fléau du terrorisme, concrètement qu’est-ce que vous en attendez ?
C’est sûr que l’Egypte détient une des clés. Je salue le geste de l’Egypte mais il faudrait qu’il soit complété par la réaction des pays comme le Kenya qui est déjà victime de tout ce qui se passe, l’Ethiopie, Djibouti et au-delà… Parce que la Somalie est aussi frontière d’Oman, du Yémen et tout ce qui se passe là bas à des résonances sur la Somalie.