Robert Solé, écrivain et journaliste français d'origine égyptienne

« Le maréchal Sissi qui va devenir le président Sissi va se heurter à deux dossiers urgents et brûlants: l'économie et la sécurité. Accentuer la répression peut encourager la violence, porter atteinte aux droits fondamentaux, ça des conséquences sur les investissement et sur le tourisme. »

Aujourd'hui, lundi 26 mai et demain, mardi 27, les Egyptiens élisent leur nouveau président. Comme la confrérie des Frères musulmans est désormais interdite, ce vote pourrait bien être un plébiscite pour le maréchal Sissi. Mais un plébiscite pour quoi faire ? Robert Solé est un écrivain et un journaliste français d'origine égyptienne. Il y a six mois, il a publié une biographie de Sadate chez Perrin : « Sadate: la biographie indispensable pour comprendre l'Egypte d'aujourd'hui ».

RFI : Après son élection programmée le maréchal Sissi va-t-il devenir un nouveau Moubarak ?

Robert Solé : Ecoutez, il n’aimerait pas cette comparaison. Il aimerait être un nouveau Nasser. Mais il en est quand même assez loin. Ce qui est sûr c’est son élection ! Personne ne doute de la victoire de Sissi qui reste très populaire, même si cette popularité s’est érodée en raison de la crise persistante et en raison de toutes les difficultés de la vie quotidienne.

Derrière Abdel Fattah al-Sissi, il y a l’institution militaire. Pourquoi l’armée est-elle toujours au pouvoir plus de soixante ans après la chute de la monarchie ?

L’armée jouit d’un prestige, d’abord depuis le coup d’Etat de 1952, qui est considéré en Egypte comme une révolution, même si c’était un coup d’Etat. Et puis l’armée est populaire aussi, depuis la guerre du Kippour, d’octobre 1973. Pour la première fois une armée a infligé une première défaite à Israël. L’armée reste la seule institution qui tient vraiment dans ce pays actuellement.

La seule fois qu’il y a eu une élection démocratique en Egypte, c’était il y a deux ans. C’est un Frère musulman qui a été élu, Mohamed Morsi. Est-ce que l’armée n’est pas le bras protecteur d’une minorité laïque contre une majorité islamiste ?

Il est très difficile de mesurer aujourd’hui la place, le poids réel des islamistes. Ce qui est sûr c’est qu’il y a eu un rejet, il y a un an, un rejet quand même massif des Frères musulmans qui étaient accusés d’être incompétents, d’être trop gourmands, d’avoir voulu contrôler tout le pouvoir et d’avoir voulu imposer aux Egyptiens ce qu’ils ne veulent pas. Les Egyptiens c’est un peuple pieux, conservateur depuis toujours, mais qui ne veut pas que la religion régisse tout dans la vie sociale. Donc il y a eu un rejet réel. Cela dit, si l’on additionne les Frères musulmans et les salafistes ça fait quand même beaucoup de monde.

Et au-delà des frontières est-ce que l’armée égyptienne n’est pas l’alliée des pays du Golfe qui la financent, sans compter vingt milliards de dollars sur les douze derniers mois pour briser justement, cette confrérie des Frères musulmans ?

Les pays du Golfe sont eux-mêmes divisés comme vous le savez. C'est-à-dire que le Qatar soutient les Frères musulmans, alors que l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Emirats du Golfe, y sont opposés. Et ce sont en effet, l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Emirats du Golfe qui ont donné au maréchal Sissi un réel ballon d’oxygène sous forme de milliards de dollars ! C’est une rente géostratégique dont l’Egypte bénéficie, mais qui n’est pas éternelle.

Et de ce point de vue est-ce que le retour des militaires au pouvoir n’est pas un échec personnel pour Barack Obama ?

Les Américains, on les accuse souvent de tirer les ficelles. Mais en fait ils regardent, ils observent et ils s’adaptent à la situation. Les Américains ont cru en l’armée égyptienne, de même qu’ils ont cru ensuite aux Frères musulmans. Ils ont cru que les Frères musulmans allaient assurer la stabilité au Proche-Orient. Les Américains sont obsédés par la stabilité et par le traité de paix israélo-égyptien. Ils veulent absolument être sûrs que la région ne va pas bouger. Les Frères musulmans leur avaient donné cette assurance, cela dit l’armée égyptienne leur donne également cette assurance.

Si l’armée égyptienne retombe dans les travers de l’époque Moubarak ; la torture, la corruption, est-ce qu’elle ne risque pas dans quelques années d’être renversée à nouveau par un printemps arabe ?

Oui, en réalité le maréchal Sissi, qui va devenir le président Sissi, va se heurter à deux dossiers urgents brûlants ; l’économie et la sécurité. Alors la sécurité, en effet, il cherche à neutraliser les auteurs d’attentats, des attentats qui se multiplient en Egypte depuis quelques temps et qui ne se limitent plus à la région du Sinaï. Mais ça ne peut pas se faire n’importe comment ! Accentuer la répression peut encourager – et c’est ce qui se passe – d’avantage la violence, porte atteinte aux droits fondamentaux comme c’est malheureusement le cas avec les arrestations arbitraires, des jugements souvent très contestables. Et comme vous le disiez, une pratique très répandue de la torture dans les commissariats de police comme en prison, ça a des conséquences sur les investissements et sur le tourisme.

Confidence de l’un des rares dirigeants des Frères musulmans qui sont encore en liberté : nous avons déjà perdu 1 400 Frères qui ont été tués. Les auteurs du coup d’Etat ne pourront pas arrêter et tuer des manifestants plus de deux ans, l’Etat va s’effondrer.

Pour le moment, l’Etat ne s’effondre pas. Cela dit, il y a une question urgente qui est économique. Il faut absolument relancer les investissements et le tourisme pour combattre le chômage !

Parmi ses prédécesseurs quel est celui dont pourrait s’inspirer le maréchal Sissi ?

Si vous voulez aucun n’a vraiment réussi. Chacun avait des qualités et de gros défauts et chacun d’eux s’est heurté d’ailleurs, à ces problèmes énormes, notamment la démographie. La population égyptienne a été multipliée par 8 en soixante ans. Alors Nasser avait un charme, un charisme, donnait de la fierté aux Egyptiens. Sadate était un homme d’Etat qui a réussi à faire la paix avec Israël, contre l’avis de plein de monde. Moubarak, lui, a tenu vingt-neuf ans ! En maniant la carotte et le bâton, en modernisant l’Egypte ! Il ne faut pas tout réduire à la dictature de Moubarak. Ce pays a énormément évolué depuis trente ans ! Cela dit, aucun de ces présidents n’a vraiment réussi. Chacun a échoué à sa façon.

 

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