Fin de parcours pour Jérôme Kerviel

Jérôme Kerviel a été écroué lundi 19 mai au matin à la maison d'arrêt de Nice, l'épilogue d'un feuilleton de six ans.

Hier soir, un peu avant minuit, Jérôme Kerviel a donc franchi la frontière entre l'Italie et la France. Il s'est rendu à la police, sans opposer de résistance. Blouson noir, le teint hâlé, mais rasé. La France, il devait la regagner samedi. C'était oublier l'expert en communication que l'ancien trader est revenu. On a donc assisté au dernier baroud d'honneur de Kerviel. Rien de moins que de demander au président français l'immunité pour des témoins de son affaire. Un pari perdu d'avance. Car aux yeux de la justice qui l'a condamné, et des ministres de la République, Jérôme Kerviel n'est rien de moins qu'un escroc.

Aux yeux de beaucoup, il est pourtant devenu une victime sacrifiée sur l'autel des marchés et de la finance

Les banques et les banquiers diabolisés, c'est dans l'air du temps : la crise est passée par là, des banques ont été sauvées de la faillite par des Etats, et donc par les habitants de ces Etats, des Français, des Irlandais, des Espagnols, qui ont, eux, dû se serrer la ceinture, supporter l'austérité pour permettre aux finances étatiques de s'assainir et de se relever. C’est cela que cristallise l'affaire Jérôme Kerviel : la défiance d'une société vis-à-vis de ses banques, défiance exacerbée par la crise, et qui rejette sur le sable après la marée, la victime présumée. Le petit, même si c'est un escroc, est forcément le bon face à la justice et aux grosses banques ! C’est à cette image qu'a travaillé Jérôme Kerviel avec ses conseillers. L’audience papale en février, la marche de trois mois, le Breton à la peau tannée, barbe de trois jours et les chaussures de marche, tout cela a participé à faire du méchant trader presque un saint.

L’opération de rédemption-communication de l'ancien trader aurait elle gommé les faits ?

Il faut se souvenir du Kerviel jeune, l'homme au costume chic, l'air un brin arrogant arrivant au tribunal correctionnel pour son premier procès. Se souvenir aussi des chefs d'inculpation pour lesquels il a été condamné en première instance, en deuxième instance, puis en cassation en mars dernier. Abus de confiance, faux, usage de faux, introduction frauduleuse de données dans un système. Une affaire d'escroquerie qui a mis au jour une faille dans le système bancaire : l'insuffisance de règles. Insuffisance en interne : la Société Générale, pour laquelle Jérôme Kerviel travaillait, en a d'ailleurs été la première à se faire sanctionner. Toute la hiérarchie de la banque a été mise en cause, et en juillet 2008 la commission bancaire a infligé à la Société Générale une amende de 4 millions d'euros pour ne pas avoir suffisamment contrôlé ce qui se passait en interne.

Les régulateurs se sont lancés dans la quête du risque zéro

De nouvelles règles ont donc été mises en place. Sans changer le fonctionnement des banques. Tellement de règles, dans tous les sens, qu'il semblerait qu'on soit finalement arrivé à l'excès inverse. Les banques doivent maintenant avoir leurs fonds propres, détenir bien plus de liquidités pour parer à toute éventualité, elles doivent provisionner les risques. L’arsenal a rendu les banques plus frileuses, et cela se traduit très concrètement : moins de crédits octroyés, moins de risques engagés, y compris à moyen terme, cela fait aussi moins d'argent distillé dans l'économie. Et le développement en même temps d'un système financier parallèle. Le « shadow banking », la finance de l'ombre.
Dans cette affaire Kerviel, l’erreur a peut-être été de condamner l'ancien trader à verser près de 5 milliards d'euros de dommages et intérêts. Un martyr sur l'autel de la finance mondiale. Car qui d'autres qu'un martyr peut être condamné à l'impossible ? La condamnation a été retoquée en cassation, il y aura donc un autre procès pour décider du montant des dommages et intérêts à payer. Un nouveau procès, un nouveau cirque médiatique.

  • Source : Eric Delannoy, spécialiste des questions bancaires, vice président du cabinet de conseil WEAVE
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