C’est l’un des 100 « héros de l'information » listés par RSF (Reporter sans frontières) à l’occasion de la Journée internationale de la Presse ce samedi 3 mai. Johnny Bissakonou est un journaliste centrafricain. Il travaillait pour la radio Ndeke-Luka, l'une des plus écoutées en RCA, jusqu'à son départ du pays en décembre 2013. Menacé, il a dû quitter Bangui et a trouvé refuge en France. Aujourd'hui, il continue d'informer ses concitoyens grâce à son blog hébergé par Mondoblog, une plateforme coordonnée par RFI, et grâce aux réseaux sociaux sur lesquels il est très actif.
RFI : Nous allons parler avec vous du travail des journalistes en Centrafrique et sur le continent, et de l’usage aussi des réseaux sociaux. Mais d’abord, votre histoire. Pourquoi êtes-vous aujourd’hui réfugié en France ?
Johnny Bissakonou : J’ai beaucoup milité, sous l’ancien régime Bozizé déjà. Et ensuite il y a eu le coup d’Etat du 24 mars 2013 organisé par la coalition rebelle Seleka. Par conséquent, je n’ai pas arrêté de militer.
En tant que Centrafricain, en tant que journaliste, je me suis rendu compte que le travail pour un média c’est d’être soumis à une certaine ligne éditoriale. On ne doit pas s’en écarter, on ne fait que ce que la rédaction décide. Alors que sur mon blog, sur les réseaux sociaux, j’ai cette liberté de m’exprimer, de dénoncer, de crier urbi et orbi qu’en Centrafrique il se passe des horreurs. Et ça, ça m’a valu des menaces.
Il y a un officier de la Seleka qui m’a appelé une fois sur mon téléphone pour me dire : « ce n’est pas parce qu’on vient du maquis qu’on est des analphabètes. Nous, nous sommes au courant de tout ce que tu as écrit sur le pays. Et donc, ça ne te rapporte rien de ternir l’image de la Seleka. Moi aussi, si je tue ça ne me rapporte rien. »
Il vous a menacé ?
Il m’a menacé. Et c’était déjà insupportable à l’époque. Mais le plus difficile est venu plus tard. Dans la nuit du 8 au 9 décembre 2013, des éléments de la Seleka sont arrivés chez nous, ils ont défoncé notre porte, ils ont assassiné mon petit frère dans sa chambre. Au moment où nous parlons, j’ai tous mes autres frères qui sont réfugiés également à l’aéroport, à Bangui. Moi je ne pouvais pas rester. Je suis allé d’abord au Cameroun et avec l’aide de RFI, j’ai pu rejoindre Paris.
Vous dites militer pour dire informer. Ça veut dire que le simple fait d’informer, de donner des informations, c’est un acte militant en Centrafrique aujourd’hui ?
Bien sûr. Parce que lorsqu’on passe sous silence des meurtres, des atrocités, c’est pour que ces choses continuent. La preuve, c’est que le fait qu’on ait parlé de ces choses, le fait qu’on ait tiré la sonnette d’alarme, qu’on ait attiré l’attention de la communauté internationale, a contribué à mobiliser le monde pour qu’il se tienne au chevet des Centrafricains, pour résoudre cette crise.
L’aide humanitaire, elle est là, mais je pense que l’information humanitaire existe également. Et c’est ce que nous faisons en militant, pour dire aux gens, dire au monde : les Centrafricains sont assassinés, les Centrafricains meurent de faim, les Centrafricains vivent dans la peur. C’est de l’information humanitaire, parce que ça permet de déclencher des actions humanitaires.
Et les réseaux sociaux sont un moyen pour informer dans ce contexte, dans cet espace de liberté en tout cas ?
Cet espace permet justement de s’exprimer sans contrainte éditoriale. Ça permet à moi qui suis en fait journaliste, de donner l’information comme un citoyen lambda. Le citoyen qui vit les atrocités et qui ressent ces choses, qui les voit au quotidien. J’ai presque 5 000 amis sur Facebook, et plusieurs abonnés sur Twitter.
Ça veut dire que ce ne sont pas vos « amis » réels mais des gens qui vous suivent pour avoir l’information ?
Pour avoir justement de l’information. On se sent, quelque part, utile. Aujourd’hui, les réseaux sociaux permettent donc au simple citoyen de donner l’information. Mais par contre aujourd’hui, dans le cas centrafricain, ce que je déplore c’est que ces réseaux sociaux contribuent à entretenir le climat de terreur, à entretenir la haine.
Aujourd’hui, des gens animés par des intérêts partisans, mettent souvent des images qui ne sont même pas de la crise en Centrafrique sur Facebook, en disant : des musulmans ont massacré tant de chrétiens ou des chrétiens ont massacré tant de musulmans. C’est pour entretenir la vendetta en fait.
Et les autorités de leur côté, se sont-elles adaptées au fonctionnement des réseaux sociaux ou bien sont-elles dépassées ?
Ce qui est quand même regrettable c’est que ces autorités n’ont pas encore compris l’impact de ces réseaux sociaux auprès de la population, au sein de la population. C’est là que ça se joue aujourd’hui.
La responsabilité criminelle est individuelle. Mais quand on indexe une communauté en disant : un musulman a tué, un chrétien a massacré, c’est pour entretenir la haine et la vendetta. Et ça, les autorités doivent le comprendre et commencer à se mettre au pas, à informer, à donner de bonnes informations, de vraies informations.
On a les jeunes, les lycéens, les fonctionnaires, les mamans, les vieillards, qui sont sur Facebook. Autant les rejoindre là-bas pour les informer.