Pedro Pires, ancien président du Cap-Vert

« Pour nous, cette révolution était une bonne nouvelle. Un changement de régime au Portugal qui devait résoudre le conflit colonial.»

C'était le 25 avril 1974, il y a tout juste 40 ans. La dictature portugaise était renversée par les jeunes capitaines de la révolution des Oeillets.

Mais beaucoup ignorent encore que ce sont surtout les guérilleros de Guinée-Bissau, d'Angola et du Mozambique qui sont venus à bout du régime salazariste.

Pedro Pires était l'un d'entre eux. En 1974, il était l'un des chefs clandestins du célèbre PAIGC, le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert. Puis, de 2001 à 2011, il est devenu le président de la République du Cap-Vert. Aujourd'hui, à 80 ans, il répond, depuis Prahia, aux questions de Christophe Boisbouvier.



RFI : Pedro Pires bonjour… Quel souvenir gardez-vous de la révolution des Oeillets ?

Pedro Pires : Pour nous c’était une bonne nouvelle parce que c’était un changement de régime au Portugal qui pouvait résoudre le conflit colonial.

Avez-vous été surpris par cette révolution ?

Pas tellement. Il y avait avant des signes au sein de l’armée portugaise et au sein de la direction politique portugaise.

Il y a eu un mouvement militaire le 16 mars au Portugal. Il n’a pas eu de succès, mais c’est le signe que les choses ne marchaient pas bien et qu’il pourrait y avoir des bouleversements.

Quand vous avez appris que la dictature était tombée, avez-vous compris immédiatement que c’était la fin de l’occupation coloniale ?

Certainement. Ce n’était pas la fin, c’était le commencement de la fin. L’année 1973, malgré l’assassinat d'Amilcar Cabral, cette année nous a amené des victoires militaires très importantes. Parce qu’on a commencé à utiliser des Sam-2 de fabrication soviétique, des fusées anti-aériennes. Cela nous a apporté une certaine efficacité, une certaine supériorité dans nos rapports de force.

Donc on savait que ce serait la négociation, certainement. Si vous négociez avec la Guinée, vous êtes obligé de négocier avec l’Angola et avec le Mozambique. C’est l’effet domino.

Peut-on dire que les combattants du PAIGC, du MPLA et du Frélimo ont joué un rôle direct dans la chute du régime salazariste de Lisbonne ?

Direct, je ne sais pas si c’est le mot qu’on doit utiliser. Mais c’est la cause principale du changement du régime au Portugal. C’est la résistance qui a créé une situation militaire intenable et a créé en même temps une situation économique financière intenable.

En ce qui concerne les acteurs, c’est différent. Les acteurs ont été les jeunes officiers, capitaines surtout, qui portaient le coût humain, le sacrifice de la guerre coloniale. Ils ont agi en conséquence !

Les jeunes capitaines du MFA portugais ne voulaient plus aller mourir dans les maquis de Guinée-Bissau, d’Angola ou du Mozambique ?

Certainement. C’est humain ! On ne peut pas tromper les gens tout le temps !

Y-a-t-il eu des contacts secrets avant le 25 avril, entre votre parti, le PAIGC, et le MFA portugais ?

Non. Nous avions des contacts avec l’opposition politique au Portugal, les gens du Parti socialiste et du Parti communiste. Mais des contacts avec ce mouvement, avec ces officiers… Franchement, je n'en connais pas.

Et avec le chef d’état-major portugais de l’époque, le général Spinola ?

Non… Vous savez, il a eu des contacts avec le président Senghor, oui. Mais ça, ce n’était pas une chose sérieuse pour nous. Pour la direction du PAIGC, il fallait reconnaître clairement notre droit à l’indépendance et à l’autodétermination. Et pas avec des contacts dilatoires. Ce n’était pas sérieux.

Quarante ans après, le Portugal est moins riche que certaines de ses anciennes colonies comme l’Angola ou le Mozambique. Est-ce une revanche de l’histoire ?

Ce que je sais, c’est que l’Angola et le Mozambique ont des ressources qui peuvent apporter beaucoup de moyens financiers, économiques. Ça, c’est bien. Mais en ce qui concerne le futur du Portugal, nous sommes dans une société de connaissances. Donc il n’y a pas de place pour se lamenter parce qu’on a moins de pétrole ou moins de gaz. Il faut, au contraire, utiliser les moyens technologiques, la connaissance, pour réussir. C’est ce que les Portugais sont en train de faire.

Mais vous, les anciens colonisés, est-ce que vous n’êtes pas en train de coloniser le Portugal ?

Je pourrais vous provoquer. Mais croyez que c’est amical. Regardez l’équipe de France de football, regardez-la ! Je crois que tous les phénomènes historiques ont un prix social, un prix culturel. Mais on va vers le métissage culturel, vers le métissage biologique. On va vers le métissage, comme disait Senghor ! Il ne faut pas se lamenter. Il ne faut pas aller contre le sens de l’histoire.

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