En RCA, des milliers de personnes continuent à vivre un quotidien difficile dans les enclaves musulmanes. A Bangui, la plus emblématique de ces enclaves est celle dite du « PK5 » dans le troisième arrondissement de la capitale. Plusieurs milliers de personnes, souvent des commerçants mais aussi des fonctionnaires, vivent retranchés, protégés par les forces internationales, sans possibilité de sortir. Olivier Rogez a rencontré au PK5 Mahmoud Hissène, l’un des responsables de la communauté musulmane. Il témoigne sur son quotidien.
RFI : Comment vit-on lorsqu’on habite au PK5, cette enclave musulmane de Bangui ?
Mahmoud Hissène : Nous sommes là, toujours cantonnés et casernés comme des prisonniers. Ce n’est pas [qu'au] Kilomètre 5, mais un peu partout sur le territoire centrafricain. Nos enfants ne peuvent pas aller à l’école faute de sécurité, nos malades ne peuvent pas aller à l’hôpital, on ne peut pas enterrer nos morts. Si vous voyez bien, on n’a pas le droit de circuler librement. Même les fonctionnaires musulmans sont là, cantonnés au PK5 et je suis parmi eux. […] on a peur d’être enlevés à n’importe quelle heure.
Quand vous vous réveillez le matin, quelle votre première pensée ?
Je pense toujours à la sécurité, comment je peux passer la journée. Le fait [même] d’aller chercher de la nourriture est un problème. Il n’y a pas d’aide et on est bloqué sur place.
La nuit, comment ça se passe ? Est-ce qu’il y a des gens qui protègent le quartier, des jeunes qui guettent toute la nuit pour voir si le danger approche ou pas ?
Effectivement, on est là toujours « en autodéfense » pour surveiller les quartiers parce qu’auparavant, on a subi des attaques quotidiennes. Cette semaine, ça a l’air d’aller. On se sent en sécurité. C’est grâce à la force burundaise et à la patrouille de Sangaris [l’opération de l’armée française en RCA, ndlr].
Mais la nuit, il y a des groupes d’autodéfense qui surveillent le quartier ?
Effectivement, il y a des groupes d’autodéfense qui surveillent le quartier et s’il y a des attaques, ils appellent directement la force burundaise.
Est-ce qu’ils sont armés ?
Non. Ils ont les mains vides.
Vous êtes fonctionnaire au ministère du Tourisme, est-ce qu’en ce moment vous touchez votre salaire ? Est-ce que vous avez même la possibilité d’aller retirer votre salaire ?
Impossible, je suis bloqué sur place depuis presque quatre mois. Je ne peux pas mettre un pied en dehors du PK5. On n’a pas la possibilité d’aller au travail. On est bloqué.
Comment faites-vous pour acheter de la nourriture au quotidien ?
Il y a la solidarité musulmane, on s’entraide.
Votre famille est partie ?
Je me retrouve seul. Ma famille est partie un peu partout, je ne sais même pas où [elle] se trouve. Vraiment je suis très inquiet pour elle.
Quand est-ce que vous avez eu de leurs nouvelles pour la dernière fois ?
Les dernières nouvelles que j’ai eues d’eux, c’était au moment où ils voulaient quitter la RCA. Ils sont partis vers le Cameroun.
Vous n’avez pas la possibilité de les joindre au téléphone ?
Impossible, il n’y a pas de possibilités. Je suis au PK5. Je leur dis : « Votre fils se trouve toujours cantonné au PK5 grâce à la force burundaise et Sangaris. »
D’après moi, il faut laisser les convois sortir parce que ces gens-là ont tout perdu, et ils n’ont pas le moral de rester. Et le fait de rester bloqués par la force, ce n’est pas une solution.
Donc la solution n’est pas de laisser les gens dans les enclaves musulmanes, mais de leur permettre de partir ?
Ceux qui veulent partir, il faut les laisser parce qu’ils n’ont pas le moral de rester.
Est-ce que vous êtes inquiet par rapport au retrait du contingent tchadien de la Misca ?
Oui et non. Oui parce que ça crée un vide sécuritaire et encourage les jihadistes à s’emparer du Nord. Non, [parce que] la Misca tchadienne n’est pas là pour les musulmans ou pour les chrétiens. C’est une force impartiale qui agit sous mandat de la Misca. Je peux vous donner même l’exemple du contingent congolais. Ils étaient à Bossangoa avant l’arrivée de la Misca tchadienne.
L’un des problèmes que pose le départ des musulmans des villes du Sud, c’est celui justement de l’épuration ethnique, une idée que veulent combattre beaucoup de gens, à commencer par les autorités françaises. Est-ce que vous ne craignez pas que lorsque tous les musulmans seront au Nord et tous les chrétiens au Sud, la Centrafrique se divise en deux ?
Nous sommes des musulmans centrafricains. Donc en tant que citoyens, nous sommes contre cette partition. Mais si on nous oblige à quitter Bangui, Boda, Bossangoa, Yaloké, Berberati, Nola, Bouar, une fois regagnés le Nord, que va-t-il se passer ? Moi aussi, je me pose la question de savoir ce qui a poussé les anti-balaka à nous chasser de la RCA. Nous ne sommes pas pour la partition en tant que citoyens. Mais s’ils nous obligent à quitter la RCA, là on sera obligés de regagner le Nord et de fonder un Etat.