Impôt à la source: comment a-t-il été appliqué dans d’autres pays?

En France, l’impôt sur le revenu sera prélevé à la source par l’employeur dès le 1er janvier 2018. Si cette disposition est votée par le Parlement et effectivement appliquée, la France ne sera pas le premier pays à appliquer le prélèvement de l’impôt à la source. Bien au contraire même, puisque la plupart des grands pays d’Europe et d’Amérique du Nord l’appliquent déjà. Comment y est-il organisé et quel est l’intérêt du prélèvement à la source ?

Ce mercredi 3 août sera présenté en Conseil des ministres le projet sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu en France. Le secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert précisera les modalités de ce changement. On sait déjà que le gouvernement souhaite appliquer un prélèvement à la source, directement sur la fiche de paye mensuelle. Les revenus seront donc taxés directement sur l’année en cours, et non au titre de l’année précédente.

Concrètement, en 2018, l’administration fiscale calculera le taux d’imposition du foyer à partir de la déclaration de revenus faite en 2017 (sur les revenus de 2016). Ce taux sera transmis à l’employeur, qui prélèvera l’impôt et le versera au fisc. Le taux sera corrigé en fonction de la déclaration de revenus du printemps 2018. Un remboursement « en cas de trop-perçu » ou un « reliquat » à payer sera appliqué, selon les cas, et le nouveau taux sera appliqué à la rentrée, a annoncé Christian Eckert.

Tous les grands pays d’Europe ont déjà opté, selon des modalités différentes, pour le prélèvement à la source. Dans un rapport intitulé « Les comparaisons internationales en matière de prélèvements à la source », Sandra Desmettre, inspectrice des finances du Conseil des prélèvements obligatoires, faisait remarquer que « la mise en place de la retenue à la source est ancienne » dans la plupart des pays.

L’Allemagne est une pionnière en la matière puisqu’elle l’a mis en place dès 1925, héritant en fait cette pratique de la Prusse en 1811. Ensuite, les Pays-Bas ont suivi en 1941, l’Australie en 1942, le Royaume-Uni en 1944, la Nouvelle-Zélande en 1958, l’Irlande en 1960, la Belgique en 1962, le Luxembourg en 1967, le Danemark en 1970, l’Italie en 1973 et le dernier en date, l’Espagne, en 1979. En Amérique du Nord, le Canada l’a aussi mis en place pendant un an en 1917, avant de l’appliquer définitivement à partir de 1942. Les Etats-Unis, eux, l’appliquaient depuis 1862, en le modernisant en 1943.

« Année blanche » ou étalement du paiement de l’impôt ?

Cette ancienneté du passage au prélèvement à la source a empêché Sandra Desmettre « de recueillir des informations très détaillées concernant les modalités de transition » pour ces pays. Mais l’inspectrice des finances dégage tout de même deux écoles de transition. La première est l’étalement du paiement de l’impôt sur plusieurs mois ou par l’abandon d’une année d’imposition (« année blanche »), assorti de mesures « anti-abus ».

L’abandon d’une année d’imposition, ou « année blanche », est l’option privilégiée par le gouvernement français. Elle avait été choisie notamment par le Danemark et la Nouvelle-Zélande. Selon ce principe, le contribuable paiera en 2017 les impôts sur les revenus de 2016, et en 2018 les impôts sur les revenus de 2018. 2017 devrait donc être en France une « année blanche » du point de vue des comptes de l’Etat. Cela permet une transition immédiate vers le prélèvement à la source.

L’exemple danois pour prévenir les abus

Mais il peut y avoir des abus, notamment si quelqu’un reçoit un salaire plus élevé en 2017. « Si vous avez une boîte, vous êtes en mesure de vous verser des primes très importantes en 2017, et cette année va sauter pour l’Etat. Les sommes peuvent être conséquentes en termes d’optimisation fiscale. Il faudra trouver un moyen de contrer cela », précise Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Au Danemark, explique Sandra Desmettre, « afin de prévenir d’éventuels abus, les contribuables ont dû présenter une déclaration sur leurs revenus de 1969 », qui était l’année blanche pour le Danemark. Si ces revenus étaient largement supérieurs à ceux de 1970, le revenu excédentaire était imposé à 30 %.

L’autre école est celle de l’étalement du paiement de l’impôt. Ce fut le cas au Royaume-Uni, où le paiement des impôts de l’année 1943 s’est étalé sur trois ans. Aux Pays-Bas, le passage à la retenue à la source « a nécessité entre trois et cinq ans, y compris les travaux préalables de commissions d’études paritaires », explique Sandra Desmettre.

Objectif : faciliter les rentrées fiscales en période de crise

La majorité des pays ont appliqué le prélèvement à la source afin de faciliter les rentrées fiscales. Les réformes de transition ont ainsi souvent été appliquées en période de crise, voire de guerre, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Un des principaux avantages du prélèvement à la source est aussi la fin du décalage fiscal. Aujourd’hui, quand vous payez votre impôt, il est calculé en fonction de vos revenus de l’an dernier. Pour peu que vous ayez perdu votre emploi, que vous soyez parti à la retraite ou autre, l’impôt ne reflète pas forcément votre niveau de vie », décrypte Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision à l’OFCE.

Le rapport de Sandra Desmettre montre que, dans les pays concernés, le prélèvement à la source présente également « des avantages en termes de trésorerie et d’accélération du recouvrement ». Un autre avantage du prélèvement à la source est enfin qu’il est « indolore » pour le contribuable, ce qui favorise « l’acceptabilité de l’impôt », selon le site vie-publique.fr.

Des complexités pour les employeurs et des problèmes de confidentialité

Mais le prélèvement à la source est critiqué dans de nombreux pays où il est appliqué, comme en Espagne. Il est en général critiqué « essentiellement [en raison du] coût et [de] la complexité de gestion pour les employeurs ». Aux Pays-Bas, ces critiques existent également, mais le système « est reconnu comme le meilleur en termes de lutte contre la fraude ».

Dans « aucun » des treize pays étudiés par Sandra Desmettre, les employeurs ne sont rétribués pour ces tâches supplémentaires. Mais les employeurs « sont souvent rémunérés de fait par l’avantage en trésorerie que peut constituer le fait de pouvoir conserver un certain temps les montants prélevés avant de les reverser à l’administration fiscale ».

Le prélèvement à la source est aussi critiqué pour les problèmes de confidentialité qu’il soulève, car il faut parfois informer son employeur de sa situation particulière et familiale. En France, « le taux [d’imposition] sera soumis au secret, a expliqué le ministre des Finances Michel Sapin. Sa divulgation […] sera punie par la loi. » Le ministre a ajouté que les contribuables qui le souhaitent pourront se voir attribuer un taux « neutre », et qu’ils paieront ensuite le solde directement à l’administration fiscale.

Mathieu Plane, auteur de « Vers une grande réforme fiscale ? » (avec Guillaume Allègre, avril 2012), relativise néanmoins l’importance de cette réforme à venir : « Ce n’est pas une réforme fiscale. On ne modifie pas la fiscalité, mais la façon de la prélever. Cela ne changera pas grand-chose macro-économiquement. Surtout qu’il y a déjà de nombreuses personnes qui sont mensualisées, pour lesquelles cela revient quasiment au même. »

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