Les réunions de printemps des institutions monétaires internationales, la semaine passée, à Washington, ont monopolisé l’attention sur le soutien à apporter aux nouvelles autorités légitimement élues de Côte d’Ivoire. Du coup, elles ont un peu occulté la parution du Rapport sur le développement dans le monde 2011. Intitulé justement Conflits, sécurité et développement, il examine l’évolution des conflits par rapport au siècle dernier, où ils prenaient plutôt la forme de guerres interétatiques et de guerres civiles.
« Nous le constatons à nouveau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : la violence du 21ème siècle est différente », affirme Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, pour qui on assiste davantage à des flambées de violence associées à des conflits locaux, à une répression politique et aux méfaits du crime organisé. Il avait insisté, déjà, en 2008, sur « la nécessité de conjuguer sécurité et développement » et de « jeter des bases suffisamment solides pour rompre les cycles de conflits et de situations fragiles ».
« Les enjeux sont considérables »
La vague de protestation dans le monde arabe a exprimé la révolte de « millions de personnes exaspérées par le sentiment que leurs droits sont bafoués, leur dignité foulée aux pieds et leurs perspectives d’emploi désespérément bouchées », disent les auteurs du rapport. Ce scénario concerne plus largement près de 1,5 milliard d’individus qui vivent dans des pays en développement en proie à des violences politiques ou criminelles en Afrique mais aussi en Amérique latine, en Asie et dans certains pays à revenu élevé. « Les enjeux sont considérables », souligne Robert Zoellick qui détaille les répercussions négatives des conflits prolongés sur les perspectives de développement.
« Un conflit civil coûte à un pays en développement moyen environ trente années de croissance du PIB, indique-t-il. Et le taux de pauvreté des pays qui sont le théâtre de crises prolongées peut être supérieur de plus de 20 points à celui des autres pays ». En outre, les violences qui éclatent dans une région ont tendance à « se propager (…), compromettant les perspectives économiques de régions tout entières ».
Selon les statistiques de la Banque mondiale, les habitants des États fragiles courent deux fois plus de risques de connaître la pauvreté. Leurs enfants souffrent deux fois plus de sous-alimentation et sont trois fois moins scolarisés. Aucun pays à faible revenu touché par un conflit n’a encore atteint un seul des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Qu’elles soient internes ou externes, les causes des tensions ou « stress » vont du chômage des jeunes aux chocs économiques et aux pertes brutales de revenu, sans oublier les divisions interethniques, religieuses, sociales, les inégalités, autant de raisons qui favorisent l’infiltration de réseaux criminels organisés, de trafiquants ou encore de combattants étrangers. Selon les enquêtes effectuées pour ce rapport, le chômage serait, de très loin, le premier facteur qui pousse les individus à rejoindre des bandes organisées ou des mouvements rebelles. Deuxième facteur, l’absence d’institutions légitimes, notamment dans les pays où la corruption et les violations les droits de l’homme atteignent des niveaux élevés et qui par conséquent sont moins à même de contenir ces pressions. La société s’avère alors incapable de protéger ses citoyens contre les abus ou leur assurer un accès équitable à la justice et aux opportunités économiques.
Rétablir la confiance entre les citoyens et l’État
Dès lors, comment restaurer le climat de confiance entre l’Etat et ses citoyens ? De « l’Afrique du Nord à la Côte d’Ivoire en passant par Haïti, le système international doit réorienter son assistance sur la sécurité des citoyens, la justice et l’emploi dans les contextes les plus fragiles. Il faudra pour cela réformer les procédures des organismes internationaux, assurer une réponse au niveau régional et renouveler les efforts de coopération entre les pays à faible revenu, à revenu intermédiaire et à revenu élevé ».
Les experts se sont basés sur l’expérience de pays à revenus faibles, intermédiaires ou élevés, qui ont réussi à sortir de cycles de violence répétés : « C’est là la contribution fondamentale du rapport », souligne Nigel Roberts, codirecteur de la Banque mondiale, qui préconise à l’intention des réformateurs nationaux des mesures à court terme favorisant la transparence : allocations aux groupes défavorisés, nomination de nouveaux responsables, élimination des lois discriminatoires...Mais aussi des réformes à plus long terme basées sur des calendriers réalistes : création d’emplois, renforcement de la sécurité, réforme de la justice…
« La légitimité des institutions est la clé de la stabilité », résume Robert Zoellick. Et à cet égard, il faut du temps, disent les experts « au moins une génération » -, pour transformer des institutions précaires ou illégitimes en structures capables de résister à l’instabilité. Bien souvent, cela nécessite aussi « une série de transitions ». Sans oublier que l’apport de compétences techniques ne suffit pas. Désormais, dit aujourd’hui la Banque mondiale, les institutions doivent rendre des comptes à leurs citoyens !