Votre œuvre vidéo est montrée dans l’exposition Croyances – faire et défaire l’invisible, à l’Institut des Cultures d’Islam de Paris. Que signifie pour vous « prier le wifi » ?
Seumboy VRAINOM : € : Il s’agit de trouver une façon de communiquer avec une entité vivante qui n’est pas perceptible par nos sens humains. Le wifi en est une. C’est une entité omniprésente, toujours avec nous et avec laquelle on est beaucoup en contact, mais avec laquelle on communique peu. La prière est quelque chose que je connais, parce que je viens d’une culture évangélique. C’est aussi une manière de s’adresser à une entité physique non visible et non perceptible par nos sens humains. Est-ce que ce mode de dialogue peut fonctionner avec le wifi ? Mon œuvre est une tentative.
« Prier le wifi », « pardonnez-moi wifi », quand vous prononcez ces paroles, est-ce commettre un blasphème ?
Je n’espère pas. J’essaie de ne pas considérer le wifi comme une divinité ou un dieu. L’idée est plutôt de prendre la forme « prière » pour entrer en dialogue avec une entité non perceptible par nos sens humains. Le « pardonnez-moi » est un lien vers la discussion. Je fais cette prière quand le wifi ne fonctionne plus. Pourquoi le wifi ne fonctionne plus ? Est-ce parce que j’ai consulté des sites que le wifi n’approuvait pas ? Dans la vidéo, on voit un site de pornographie. Est-ce que cela pourrait déclencher un arrêt du wifi ?
Vous êtes issu d’une famille évangélique. Votre manière de pratiquer l’art, est-ce un prolongement de votre croyance ?
J’ai grandi dans une culture évangélique, mais je ne suis pas pour autant baptisé. C’est un cheminement de pensée qui est toujours présent dans ma vie par rapport au lien avec un dieu ou une réflexion spirituelle. Mais cela n’est pas directement connecté. Ce n’est pas un prolongement du christianisme évangélique.
Pour moi, la « numéricosophie », ce sont d’autres façons de penser l’espace numérique pour l’inclure encore plus dans notre monde physique. Au moment de ma conversion vers la numéricosophie, j’ai choisi de m’appeler Seumboy VRAINOM : €, un changement de nom, comme dans beaucoup de traditions religieuses.
L’internet, les réseaux sociaux, le numérique en général, de quelle façon tout cela modifie-t-il nos imaginaires ?
Pour l’instant, cela modifie notre imaginaire plutôt en imaginant des énergies hyperpuissantes, capables de réfléchir. On va penser Google ou le wifi comme des formes extrêmement performantes qui vont être capable de répondre à beaucoup de nos problématiques. C’est un imaginaire très « technologiste », alors que moi, j’essaie plutôt d’aller vers un imaginaire qui puise dans l’histoire des religions et des spiritualités. Google, Facebook, le wifi ou la 4G, ce sont des entités faillibles. On peut essayer de les comprendre pour ce qu’elles sont, sans les fantasmer comme des machines ultra-puissantes et sans leur accorder beaucoup trop de pouvoir dans notre imaginaire.
Sans aller jusqu’à dire que le wifi remplace Dieu, vous affirmez quand même qu’il change les croyances. Comment voyez-vous la croyance du futur ?
Pour moi, le wifi ne remplacera jamais Dieu. J’espère que nous allons réussir à intégrer des entités comme le wifi, Facebook, Google, la 4G, etc. dans une « cosmogonie » qui fasse vraiment un tout. Est-ce possible de faire arriver toutes ces entités numériques dans notre cosmos du « naturel » ? Peut-être qu’il y aura des formes qui s’approcheront plus d’anciennes spiritualités, comme on les voit en Afrique ou dans d’autres parties du monde ou même en Europe, avant le christianisme. Sans les considérer comme des dieux, il s’agit de développer une spiritualité autour ces entités.
Vous proposez aussi des « séances de soins du smartphone »...
Ce sont des séances individuelles, d’une quinzaine de minutes, où l’on discute du smartphone de la personne. Le smartphone raconte beaucoup de nous. Quand on fait ce soin du smartphone, on se rend compte de plein de détails – comme la fissure sur un endroit du smartphone ou le nombre de notifications qu’on va accepter sur Messenger, mais pas sur Instagram, etc. Tout cela raconte beaucoup sur notre vie physique. Pendant ce soin, je considère le smartphone pas comme un objet, mais comme un organe. Comme les yeux nous permettent de voir ou nos oreilles nous permettent d’entendre, le smartphone est un organe qui nous permet de percevoir l’espace numérique qui est tout le temps présent, mais qu’on ne peut pas percevoir avec notre corps. Si l’on ne sait pas comment se comporter avec cet « organe », on va somatiser et avoir un certain nombre de répercussions sur notre corps biologique.
Se définir « apprenti chamane numérique », est-ce une façon de vous reconnecter avec l’Afrique ?
Le mot « apprenti chamane numérique » permet de parler de cette catégorie chamane qui a été créée dans le monde occidental pour beaucoup de types de culte. Le mot chamane est un peu un mot valise dans la tradition anthropologique occidentale. Cela permet de se réapproprier ce mot. Ce n’est pas forcément connecté à des pratiques actuelles en Afrique, mais à un imaginaire que j'ai, en fait, de ma famille qui vient d’Afrique, de différents pays, avec différentes pratiques et différentes cultures. Le fait d’utiliser ce mot permet surtout de déclencher chez le public une autre façon d’aborder l’espace numérique.
► L’exposition Croyances à l’Institut des cultures d’Islam (ICI), à Paris, est fermée pour prévenir la propagation de l’épidémie de coronavirus, mais l’œuvre vidéo Prier le wifi de l’artiste Seumboy VRAIMENT : € reste accessible sur YouTube.