Est-ce l'affaire qui ébranlera le cinéma français, deux ans après le déclenchement du mouvement #MeToo de libération de la parole des femmes aux États-Unis ? Une longue enquête de Mediapart, mise en ligne lundi 4 novembre, lève le voile sur l'omerta dans l'industrie française.
Adèle Haenel n'a que douze ans quand elle est choisie pour tenir le premier rôle du film Les Diables. Christophe Ruggia met en scène un amour incestueux entre un frère et sa sœur, autiste. Pendant plusieurs mois, le réalisateur, qui a alors 36 ans, met en condition ses deux jeunes acteurs pour qu'ils soient à l'aise lors de scènes très dénudées.
18 ans après les faits, Adèle Haenel dénonce un phénomène d'emprise. Un conditionnement et des agressions pédophiles avérées par de nombreux témoignages dans cette enquête. Dans une vidéo mise en ligne par Mediapart, l'actrice explique vouloir libérer à son tour la parole.
« On est là pour les faire changer »
« Je dois le fait de pouvoir parler à toutes celles qui ont parlé avant, dans le cadre des affaires #MeToo, et qui m'ont fait changer de perspective sur ce que j'avais vécu. Quand les femmes, les filles, qui portent plainte ou qui dénoncent des faits, sont moins connues, on dit : "ah, elles voulaient du travail, elles mentent pour se faire mousser, etc." On dénigre leur parole. Quelle violence ! Qu’est-ce qu’on a tous comme responsabilité collective pour que ça arrive ? Si vous voulez, les monstres, ça n’existe pas ! C’est notre société. […] On n’est pas là pour les éliminer. On est là pour les faire changer. »
Christophe Ruggia, lui, conteste les faits. Il a refusé de répondre à Mediapart. Contactés par RFI, ses avocats confirment qu'il ne s'exprimera pas publiquement. Mais la profession, elle, l'a déjà condamné. Christophe Ruggia a en effet été radié de la Société des réalisateurs de films (SRF).
Adèle Haenel « devrait saisir la justice »
Auprès de Mediapart, Adèle Haenel expliquait ne pas vouloir porter plainte : « J'avais envie d'agir (...) [mais] je n'ai jamais pensé à la justice », explique la comédienne, qui estime qu'il existe « une violence systémique faite aux femmes dans le système judiciaire ». Elle regrette aussi que les agresseurs et les violeurs soient « si peu condamnés ». Et ajoute : « La justice nous ignore, on ignore la justice. »
« Elle a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situations », a réagi la ministre de la Justice Nicole Belloubet sur France Inter mercredi matin, tout en saluant le caractère « très courageux » de cette prise de parole.