Posée sur la corniche de Doha, le bâtiment de plus de 52.000 m2 impressionne avec ses 539 pétales allant du plus petit diamètre ( 14 mètres ) au plus grand ( 87 mètres ), tous de courbure variable. Cette Rose des Sables est une curiosité architecturale sublimée par la technologie. A l’extérieur, par son incroyable composition de disques horizontaux et verticaux entrelacés. Comme à l’intérieur, avec ses onze galeries courant sur 1,5 kilomètre. Le projet été repris à zéro, à l’arrivée, en 2013, de la Sheikha Al-Mayassa bint Hamad bin Khalifa Al-Thani, sœur de l’émir du Qatar, qui préside aujourd’hui la Qatar Museums Authority (QMA).
D'un coût estimé à 434 millions de dollars ( chiffre non confirmé ), le musée national du Qatar est d’autant plus important pour Doha qu’il a été terminé sous le blocus économique et diplomatique imposé depuis l’été 2017 par ses anciens alliés l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn. Ryad et ses alliés accusent le Qatar de ne pas prendre assez de distance avec l'Iran, puissance régionale chiite rivale de l'Arabie Saoudite sunnite, et de soutenir des groupes islamistes radicaux, ce que Doha nie.
Jean Nouvel
Haute silhouette au crâne rasé, toujours habillé de noir Jean Nouvel aime parler de son dernier bébé. Sa couleur beige ( la peau du bâtiment a été réalisée en béton fibré à hautes performances ) est celle du sable du désert. Discrète, elle est changeante selon les heures du jour. Pour se fondre avec la mer. Ces deux éléments forts de la géographie du pays reviennent sans cesse dans le discours de l’architecte qui a aussi conçu la muséographie intérieure : un parcours où l’on passe de plafonds bas à de grandes échappées, avec un sol toujours en pente, des murs en biais.
Totale immersion
Le parcours muséographique étonne. Il raconte l’incroyable destin d’un petit peuple de nomades devenus en quelques décennies immensément riche grâce aux perles puis au pétrole et au gaz. Pour apprécier pleinement ce musée, il faut retrouver un regard d’enfant, jouer le jeu des attractions interactives, sans se priver d'admirer les précieuses collections de bijoux ou d’art anciens. Nous ne sommes pas dans un musée classique avec des œuvres accrochées sur les murs. D’ailleurs, il n’y en a pas. Le but est de plonger le visiteur dans une totale immersion, visuelle, sonore et parfois même physique, on peut y être agréablement désorienté.
7000 mètres carrés d’espace d’expositions permanentes ( 1700 pour celles temporaires ), le parcours déroule le récit national du Qatar. Produits par des réalisateurs et des vidéastes ( Land and see dirigé par Jacques Perrin et Christophe Cheysson ou Al Zubarah du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako ), des films de courte durée ( de 3 à 20 minutes ) adaptés aux formes et à l’échelle des murs sont des témoignages poétiques et évocateurs de la richesse naturelle ou du passé bédouin du Qatar. De nombreux documents retracent également le règne de la famille AL-Thani sur le pays depuis 150 ans.
Modernité et tradition
La Rose des sables est construite autour du Palais royal de cheikh Abdullah bin Jassim Al Thani, joyau patrimonial du Qatar nouvellement restauré. Il donne sur la grande place que l’architecte assimile à un « caravansérail, lieu de rencontres et d’animation ». Les disques de la rose forment des ombres pour rendre le bâtiment efficient sur le plan énergétique. En contrebas, donnant sur la corniche, un bassin est animé par les 114 fontaines, sculptures, roseaux de perles noires qui dessinent des lettres de la calligraphie arabe et sont signées Jean-Michel Othoniel. C’est l’une des commandes passées à des artistes contemporains internationaux pour ancrer ce musée dans le XXIe siècle.
Jean Nouvel, lauréat du prestigieux prix Pritzker qui a également conçu le Louvre Abu Dhabi inauguré en 2017 aux Emirats s’est défendu de travailler pour des régimes non démocratiques. « Je travaille à l'échelle du siècle ou des siècles, pour les peuples, pas pour une personne ponctuellement au pouvoir », explique-t-il, assurant que des garanties et des contrôles ont été faits auprès des ouvriers qui ont travaillé sur son chantier. C’est un des reproches fait au Qatar en travaux permanent et dont les tours et les grues percent le ciel dans la perspective de la prochaine coupe du monde de football en 2022.