Littérature: hommes, djinns et animaux

A l’heure où la cause animale fait couler beaucoup d’encre, un ouvrage vient détailler les fondements de la pensée musulmane sur le sujet*. Le Coran et les hadiths se montrent en effet particulièrement bienveillants envers les animaux.

Anges, hommes, djinns et animaux ont pour mission d’adorer Dieu. Certains oiseaux représentent l’amour, comme le rossignol, la huppe, la colombe ou le héron. Il convient donc de traiter avec respect toute la gent animale. « Faire souffrir inutilement et cruellement un animal est passible des peines de l’Enfer » et toute mise à mort « est entourée de considérations morales et juridiques complexes », explique l’auteur.

On sait que trois animaux sont d’ores et déjà au paradis : l’ânesse de Bilaâm, injustement battue, le loup accusé à tort d’avoir dévoré Joseph et Qitmîr, le chien des Compagnons de la Caverne qui protégea leur sommeil.

La bénédiction de Dieu ne se limite pas aux mammifères. Les diligentes abeilles, évoquées dans la sourate 16 qui porte leur nom, ne se retrouveront pas en Enfer, à la différence des serpents et autres scorpions. Dans la sourate 27, « les fourmis », ces insectes s’adressent au roi Salomon. Ce dernier savait d’ailleurs le langage des oiseaux et en avait même incorporé dans son armée.

Les textes coraniques suggèrent que toutes les créatures sont liées à Dieu par un pacte et par le respect d’une charia propre à chaque espèce.

Captivant est un chapitre des Epitres des Frères sincères, un texte du Xe siècle, dans lequel les animaux se plaignent aux djinns sages du sort que leur réservent les hommes. Il s’en suit un long procès où chacun avance ses arguments.

Le roi des fauves a délégué le chacal, celui des oiseaux le rossignol. La grenouille représente les animaux aquatiques, le criquet les animaux rampants. Chacun plaide avec éloquence. Au passage, les critiques pleuvent sur le cheval, qui aide les hommes à chasser ses congénères. En séance plénière, les animaux s’affirment innocents des cruautés du monde : ils sont les vrais croyants, soumis à Dieu. C’est la méchanceté et l’hypocrisie des hommes qui poussent certains animaux à la violence.

Les hommes rétorquent que, s’ils ont toute disposition sur le règne animal, c’est par la volonté divine. Ils finissent par l’emporter avec un argument massue : la sainteté. Certes, les hommes ne sont pas supérieurs aux animaux, mais les prophètes sont capables d’approcher le monde des anges.

Mais si les animaux louent Dieu, note l’auteur, cela signifie qu’ils sont conscients de ce qu’ils expriment, ouvrant ainsi un champ d’interrogations nouvelles.

Ignorant presque tout des djinns, j’ai relu la sourate 72 qui leur est consacrée. Les versets 14 et 15 leur donnent la parole : « Il y a parmi nous des Musulmans et il y a des injustes. Ceux qui sont convertis à l’Islam sont ceux qui ont cherché la droiture. Et quant aux injustes, ils formeront le combustible de l’Enfer. »

Ces êtres intelligents, mais invisibles, servent d’explication pour certains phénomènes incompris, comme la maladie, la folie, l’amour ou les mirages.

Seuls Dieu, le Prophète et les saints peuvent percevoir leur corps. Les djinns ont parfois quelques traits animaliers, comme des sabots ou la langue fourchue. La goule n’arrive à se défaire de ses pieds d’âne. Ils peuvent se muer en scorpion, en rat, en corbeau, mais aussi en chats ou chiens noirs. Ils chevauchent des lièvres, des chiens, des autruches et se nourrissent d’os ou de fumigation.

Attention, ils n’ont rien à voir avec les shaytans maléfiques, suppôts d’Iblîs/Satan. Ils sont susceptibles d’écoute et de foi : Muhammed a converti un groupe de djinns. Il se peut que chaque homme ait son djinn auxiliaire.

L’auteur pose une question fondamentale tout au long du livre : qu’y a-t-il de spécifiquement humain chez l’homme ? Je retiens cette formule intéressante : Dieu a fait d’Adam son « khalîfa » sur Terre, très exactement son « lieu-tenant ». Le mot « calife » a pris une autre acception en français. Mais, à l’inverse des anges et des animaux, l’homme n’est pas un être achevé. Le projet divin est celui d’un homme parfait, à l’image de Muhammed.


Pierre Lory, La dignité de l’homme face aux anges, aux animaux et aux djinns, Albin Michel, 2018

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