Notre enfance regorge de phrases mal comprises. L’écrivain Chris Van Wyk en avait une charmante. A l’église, il entendait le psaume 23 en anglais « Surely, goodness and mercy will follow me every day of my life ». Le petit garçon comprenait « Shirley, Bonheur et Grace m’accompagneront tous les jours de ma vie », ce qui lui paraissait tout à fait normal, puisque sa mère s’appelait Shirley. Autour d’elle vibrionnaient des femmes prénommées Precious, Beauty, Grace…
Van Wyk a grandi dans un township réservé aux Métis, coincé entre Johannesburg, Soweto et les terrils fauves. Il raconte avec humour et crainte la vie du quartier de Riverlea dans les années 1960. D’un côté les rituels familiaux, empreints de solidarité, de bonne humeur, de foi sincère. De l’autre, la montée des tensions, la ségrégation absurde qui touche tout le monde, y compris les classes moyennes. Ses souvenirs nous semblent aujourd’hui à des années lumières, tant l’Afrique du Sud a changé en quelques décennies. Mais pour comprendre ce que fut l’apartheid au quotidien, et singulièrement vu par les Métis, une traduction en français serait la bienvenue.
On suit l’évolution du petit garçon protégé à l’adolescent révolté qui quitte en douce son quartier. Il voit poindre la violence. L’explosion survient en 1976, lors des manifestations lycéennes à Soweto, township voisin. L’auteur a 19 ans. Il est déjà engagé.
Le succès de Shirley, Goodness & Mercy tient au style limpide de Chris Van Wyk, à sa tendresse pour les siens, à son sens de l’observation. Mais sous une personnalité chaleureuse, l’écrivain cachait beaucoup d’angoisse. Pour preuve ce poème écrit en 1979, alors que se multipliaient les morts lors des interrogatoires musclés dans les locaux de la police. Les communiqués du sinistre John Vorster Square avançaient des causes de décès invraisemblables. Si les tyrannies avaient bonne conscience, pourquoi griment-elles toujours la vérité ?
En détention
Il est tombé du neuvième
Il s’est pendu
Il a glissé sur le savon en se lavant
Il est tombé du neuvième
Il s’est pendu se lavant
Il a glissé du neuvième
Il s’est suspendu du neuvième
Il a glissé du neuvième en se lavant
Il est tombé du savon en glissant
Il s’est suspendu du neuvième
Il s’est lavé du neuvième en glissant
Il s’est suspendu au savon en se lavant
Comment ne pas voir une terrible convergence entre ce poème consacré aux détenus sud-africains et la chanson Construção de Chico Buarque, racontant à la même époque la chute d’un ouvrier du bâtiment au Brésil ?
« E tropezou no céu come se fosse um bêbado
E flutuou no ar come se fosse um passaro »
« Et il a trébuché dans le ciel comme s’il était un ivrogne
Et il a flotté dans l’air comme s’il était un oiseau. »
Le poète Van Wyk est mort en plein vol à 57 ans.
♦ Chris Van Wyk, Shirley, Goodness & Mercy, Picador Africa, 2004
♦ Traduction du poème « In Detention » (« En détention ») Katia Wallisky
♦ Psaume 23 : 6
« Surely, goodness and mercy will follow me all the days of my life
And I shall dwell in the house of the Lord forever. »
« Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie
Et j’habiterai à jamais la maison de l’Eternel. »