Fifda: Tracy Heather Strain remet Lorraine Hansberry dans l’Histoire

Elle était écrivaine, activiste, femme, noire, lesbienne et luttait au premier rang pour les droits civiques et contre la ségrégation dans les États-Unis des années 1960. Morte à l’âge de 34 ans - après avoir été célébrée comme première auteure afro-américaine acclamée à Broadway avec sa pièce « A Raisin in the Sun » - Lorraine Hansberry (1930-1965) est aujourd’hui pratiquement oubliée. Dans le cadre du Festival international de films de la diaspora africaine (Fifda) qui ouvre ce vendredi 7 septembre à Paris, la cinéaste américaine Tracy Heather Strain présente un documentaire édifiant. « Sighted Eyes/Feeling Heart » pourrait changer la donne. Entretien.

RFI : Lorraine Hansberry se présente dans votre documentaire comme une « écrivaine, née dans le South Side à Chicago, noire, de sexe féminin ». Que représente-t-elle pour vous ?

Tracy Heather Strain : Je voulais faire un film sur Lorraine Hansberry quand j’ai réalisé que très peu de gens la connaissent. J’ai fait la connaissance de son œuvre et de sa vie quand j’avais 17 ans, quand ma grand-mère m’a emmené voir une pièce de théâtre sur la vie de Lorraine Hansberry : To Be Young, Gifted and Black (Être jeune, talentueuse et noire). C’était, il y a 40 ans. Avant, je n’avais jamais entendu parler de cette jeune femme afro-américaine avec une voix tellement forte, puissante et inspirante. J’ai décidé de devenir cinéaste et de faire un film sur Lorraine Hansberry. J’ai mis 14 ans pour le réaliser.

Un tournant dans sa vie a été la pièce de théâtre A Raisin in the Sun. Elle était la première auteure afro-américaine produite à Broadway. C’était en 1959. Pourquoi cette pièce était-elle une pièce révolutionnaire ?

A Raisin in the Sun est considérée comme une pièce pionnière. Pour la première fois, une pièce écrite par une femme afro-américaine, mise en scène par un Afro-Américain, a été présentée à Broadway. Tout le monde pensait que c’était impossible, que personne ne s’intéresserait à ça. C’était très dur à rassembler l’argent pour financer la pièce. Il y avait beaucoup de clichés par rapport à des Noirs dans des situations dramatiques. Tout le monde pensait : qui veut voir des Noirs s’émouvoir ? Mais, les gens avaient hâte de découvrir une vraie représentation des expériences des Afro-Américains. C’est pour cela Lorraine était motivée d’écrire la pièce. Elle est souvent revenue d’une pièce de théâtre et elle était fâchée comment les Afro-Américains ont été représentés. Donc, elle a dit d’écrire une pièce sur des Noirs, sous forme d’une œuvre artistique. Et elle a réussi. Et elle voulait faire une pièce avec un impact.

Quelques années plus tard, la pièce a été adaptée pour le cinéma, avec Sydney Poitier dans le rôle-titre. Poitier était à l’époque la star afro-américaine dans le cinéma américain. Quel était l’impact de la pièce de théâtre et du film sur la société américaine ?

La pièce de théâtre A Raisin in the Sun était un grand succès, avec une tournée dans tous les États-Unis, traduite en plus de 30 langues. Le film avait plus d’impact sur le long terme, mais, au début, il n’était pas un succès. Il n’a pas été montré dans les salles de cinéma dans le sud des États-Unis, à cause de la ségrégation, mais beaucoup d’Afro-Américains étaient très contents.

Dans le film, on découvre que Lorraine Hansberry a été très marquée par Simone de Beauvoir. Est-ce qu’elle était un modèle pour elle ?

Pour Lorraine Hansberry, Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir était l’un des livres les plus importants du monde. Il avait toujours une très bonne place chez elle. Elle l’a souvent lu et mis beaucoup de notes dans le livre. Malheureusement, je n’ai pas pu avoir l’exemplaire original de Lorraine, parce il y avait un dégât des eaux… Pour elle, cela l’a aidé à penser d’une manière nouvelle, de repenser le rôle de la femme dans la société. Et cela d’une façon avec laquelle elle pouvait accrocher.

Lorraine Hansberry affirmait de ne pas écrire sur la question des Noirs, mais d’écrire des histoires avec des gens noirs et blancs. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce point de vue ?

Lorraine écrivait des histoires sur des êtres humains, avec des expériences différentes, mais aussi avec des expériences communes comme l’amour, la joie, des conflits familiaux, l’espoir d’une meilleure vie… Donc, quand elle dit de ne pas écrire seulement sur l’expérience des Noirs, c’était à la fin de sa vie, à l’occasion de sa seconde pièce présentée à Broadway, The Sign in Sidney Brustein’s Window, parce que la plupart des rôles dans cette pièce étaient blancs. Les gens étaient choqués, parce que tout le monde s’attendait à une sorte de suite d’A Raisin in the Sun où la majorité des rôles étaient incarnés par des Afro-Américains. Même quelques Afro-Américains étaient déçus.

Elle était une star pendant l’époque du mouvement des droits civiques. En 1963, elle avait même rencontré Robert Kennedy dans la Maison-Blanche à Washington pour lui parler des droits civiques… Elle était une activiste de premier ordre, très engagée, et pourtant, jusqu’ici, on a surtout entendu des autres : Martin Luther King, Malcolm X, Nina Simone, James Baldwin, Paul Robeson à qui le Musée du Quai Branly consacre actuellement une grande exposition… Pourquoi Lorraine Hansberry a-t-elle été pratiquement oubliée ?

C’est une excellente question. J’ai posé la question quand j’ai essayé de trouver de l’argent pour financer mon film. J’ai le sentiment que les gens l’ont mise dans une case d’activiste radicale, très engagée dans le mouvement afro-américain des droits civiques, en particulier via le Comité de la coordination des étudiants non violents (SNCC). Et les gens ont regardé A Raisin in the Sun et les rôles des acteurs d’une manière stéréotypée et ont commencé à se lasser du sujet. Elle a été de plus en plus perçue comme une « intégrationniste ». Peut-être aussi, parce que son mari était blanc. Aujourd’hui, les gens sont vraiment surpris par le film et qu’elle est assez différente de l’image qu’on a faite d’elle.

À travers elle, on découvre aussi son père, un promoteur immobilier très impliqué dans la lutte contre la ségrégation et également resté très inconnu ici en France.

Les gens aux États-Unis ne connaissent pas non plus son père. À l’exception des gens qui savent qu’il avait gagné le droit devant la Cour suprême des États-Unis, d’acquérir une maison dans un quartier blanc de Chicago. Cette procédure est connue sous le nom de Hansberry v. Lee et enseigné dans les universités de droit. Pas parce que cela a ouvert dans les années 1940 500 maisons pour des Afro-Américains dans un quartier des Blancs de Chicago, mais pour enseigner aux étudiants une technique juridique qu’un avocat doit savoir. Son père et sa mère ont essayé de changer des choses pour des Afro-Américains. La sœur de Lorraine Hansberry m’a dit qu’elle et ses amis sont souvent allés dans des restaurants où ils savaient dès le départ qu’ils ne seraient pas servis. Mais ils pouvaient ficher le restaurant pour lui faire coller une amende. Ensuite ils ont donné l’argent à des organisations de droits civiques. C’était une des premières leçons que Lorraine a reçues sur le militantisme, à un âge très précoce. Après, elle a gardé cet esprit à bien des égards.

Lorraine Hansberry était une écrivaine, une femme noire, une activiste très engagée, communiste, mariée à un juif blanc avant de divorcer pour vivre (secrètement) sa vie de lesbienne. Peut-on dire qu’avec la vie qu’elle a décidé de vivre, elle a finalement contribué à casser la ségrégation dans la littérature, le théâtre, le cinéma et dans la vie quotidienne ?

Elle donne l’impression qu’elle faisait ce qu’elle voulait faire. Aujourd’hui, aux États-Unis, on parle beaucoup de « intersectionnalité », des identités multiples. Et aujourd’hui, Lorraine Hansberry est donné comme un exemple classique par rapport à cette « intersectionnalité ».

Elle apparaît aujourd’hui très moderne. Tout ce qu’elle dit est important et significatif pour notre société aujourd’hui. En particulier pour les États-Unis. Quand on pense aux relations entre les « races », une chose que beaucoup d’entre nous ont considérée comme une question dépassée. Mais elle est réapparue. Donc, les mots de Lorraine Hansberry retrouvent un nouvel écho. Elle croyait à la capacité des êtres humains de changer les choses.

Festival international de films de la diaspora africaine (Fifda), du 7 au 9 septembre, à Paris

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