«Singapour, un bon endroit pour faire du théâtre»

Le Lasalle College of the Arts à Singapour est une des six écoles de quatre pays différents présentes à l’Union des écoles, le Festival international des écoles de théâtre et de cirque qui se déroule jusqu’au 16 juin à Limoges, en France. Le Britannique Matthew Grey, directeur du programme de performances au Lasalle College, vit depuis vingt ans à Singapour et témoigne de la vitalité actuelle de la scène théâtrale et du recul de la censure artistique dans ce pays de 5,8 millions d’habitants, connu aussi pour son régime semi-autoritaire et ses restrictions de la liberté des médias. Entretien.

RFI : Au Festival L’Union des écoles, vous mettez en scène une pièce célèbre en Indonésie, mais inconnue en France. Quelle est l’histoire de Le cercueil est trop grand pour la fosse, de Kuo Pao Kun ?

Matthew Grey : La pièce est une sorte de bijou culturel à Singapour, écrite dans les années 1980, quand le théâtre singapourien moderne a été développé et prit son essor. Mais c’était aussi l’ère de la régulation et de la bureaucratie. L’auteur Kuo Pao Kun [1939-2002], très célèbre à Singapour, décrit dans la pièce l’absurdité des règles et des régulations administratives à Singapour dans les années 1980. L’histoire raconte l’enterrement du grand-père du narrateur. Quand il arrive à la tombe, le cercueil est trop grand pour la fosse. [rires] Donc, ils demandent d’élargir la fosse, mais c’est impossible, car contre la règlementation existante qui exige une taille standard. Le monologue de la pièce raconte comment ils ont résolu ce problème ridicule. Bien sûr, c’est une allégorie pour d’autres choses dans la vie quotidienne à Singapour.

L’auteur Kuo Pao Kun a été emprisonné pendant quatre ans et sept mois lors d'une purge politique en 1976, à cause de ses activités artistiques. Plus tard, il a été célébré par le gouvernement singapourien en recevant la plus haute distinction singapourienne, la Médaille de la Culture. Aujourd’hui, qu’est-ce que cela représente de faire du théâtre à Singapour ?

Beaucoup de chemin a été parcouru. Je suis arrivé à Singapour en 1998, il y a vingt ans. Depuis, la censure a été relâchée, la variété des pièces autorisées à présenter s’est élargie. Le gouvernement est moins préoccupé par les arts et les artistes concernant une éventuelle critique de l’État. Ils ont beaucoup assoupli les choses. Et cela va de pair avec l’avènement des réseaux sociaux, etc. Donc, aujourd’hui, c’est plutôt un bon endroit pour faire du théâtre, parce que la production de pièces de théâtre augmente. Dans beaucoup de pays, les gens vont moins au théâtre, parce que la concurrence avec d’autres activités est devenue tellement forte. À Singapour, la scène théâtrale est en pleine expansion. Pour les comédiens sur place, c’est une chose positive. Il y a du travail.

Singapour est un endroit très multiculturel. Enseigner le théâtre à Singapour est-ce différent d’autres endroits ?

Oui. J’enseigne depuis vingt ans à Singapour, mais j’ai aussi enseigné en Angleterre et en Australie. Les étudiants sont différents dans le sens où les jeunes à Singapour sont à mon avis plus ouverts, moins critiques et moins cyniques. Ils explorent les choses, parce qu’ils ont envie d’explorer les choses. Cela fait plaisir. Quand j’ai fait des exercices similaires en Grande-Bretagne, la réaction était souvent : "d’accord, mais montrez-nous d’abord ce dont vous êtes capables avant qu’on l’achète". En plus, c’est en effet multiculturel et cosmopolite, avec un héritage multiculturel très riche. Mais, à l’intérieur, il y a une identité singapourienne très spécifique. Certainement aussi encouragé par le fait que le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour définir l’identité d’une île-nation de population multi-ethnique et de religions différentes.

Qu’attendez-vous du Festival international des écoles de théâtre et de cirque ?

Déjà, je me réjouis à tel point les élèves des différentes écoles échangent entre eux. Ici, on peut ouvrir les portes pour regarder autrement, penser autrement, mettre en scène différemment des idées et des techniques. Pour tout cela, un rendez-vous comme ici n’est pas juste sympa, mais essentiel pour des artistes pour élargir leur horizon artistique.

► Lire aussi : «Ce n’est pas un métier facile», le Festival international des Écoles de théâtre, rfi, 14/6/2018

► L’Union des écoles, 2e Festival international des Écoles de théâtre et de cirque, à Limoges, du 12 au 16 juin 2018.

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