Avec notre envoyée spéciale à Toulouse,
« Il y a quinze ans, nous venions à Toulouse présenter notre documentaire 'Raymundo' » rappelait mardi soir la documentariste Virna Molina qui présentait avec son compagnon Ernesto Ardito, Sinfonia para Ana, leur premier long-métrage de fiction cette fois, en lice pour plusieurs prix. Deux films qui creusent la mémoire des années de plomb de la dictature argentine : d'une part un magnifique hommage au documentariste Raymundo Gleyzer (2003), assassiné par le régime militaire en 1976 et d'autre part le récit d'un éveil à la politique, à l'amour et à la sexualité d'une bande d'adolescents élèves du célèbre Colegio nacional de Buenos Aires, dans ces mêmes terribles années. Un hommage aux élèves disparus de cet établissement sur lequel le couple avait déjà travaillé pour une série documentaire destinée à une chaîne de télévision.
Ils font partie de cette nouvelle génération de cinéastes issue des « écoles de formation nées après les périodes de dictature » pointe le directeur du festival, Francis Saint-Dizier. L'Argentine a vécu cette tourmente, rappelle Hayrabet Alacahan, directeur de la Fundacion Cineteca Vida, essayiste et fidèle des rencontres Cinelatino. Le cinéma a souffert de cette guerre sale, « comme toutes les manifestations artistiques, ce qui incluait la disparition de nombreux réalisateurs ». Mais à la fin des années 80, à la faveur des changements de régime, les écoles de cinéma se multiplient et le nombre d'étudiants explose, comme pour rattraper les années perdues.
Un public curieux et nombreux
Une génération « imprégnée d'une culture cinématographie mondiale à partir de laquelle ils revisitent leurs cultures nationales ». C'est ce double mouvement « mondialisé et territorialisé », poursuit Francis Saint-Dizier, qui fait toute la richesse de ces cinématographies. Des films que l'on peut (re)découvrir à Toulouse, par exemple dans la section « Vos films préférés » dans laquelle le public a choisi, dans une sélection de films, de revoir ceux pour lesquels il avait eu des coups de cœur comme le Guatémaltèque Ixcanul de Jayro Bustamante, L'été des poissons volants de la Chilienne Marcela Saïd, ou encore L'étreinte du serpent du Colombien Ciro Guerra.
Car c'est un public fidèle et attentif, quelque 50 000 personnes, qui se presse malgré la bise glacée dans les lieux d'accueil du festival à Toulouse. Et les invités vont aussi porter la bonne parole dans les salles de la région qui se sont associées à la manifestation. Une région où la langue espagnole est très prégnante, héritage des milliers d'Espagnols venus chercher refuge au nord des Pyrénées (30 000 à Toulouse rappelle Amanda Rueda *) après la victoire de Franco en 1939, et des vagues migratoires en provenance d'Espagne dans les années soixante, puis d'Amérique latine dans les années 70. Une communauté de langue et de cultures.
Un public nombreux, averti ou curieux comme ces radio-amateurs d'un club d'une grande entreprise publique qui ont fait une centaine de kilomètres pour voir le film cubain Sergio y Serguéi de Ernesto Darranas Serrano qui raconte, comme dans beaucoup de chistes (blagues) cubains l'histoire d'un Russe (cosmonaute sur Mir), d'un Américain et d'un Cubain... tous trois radio-amateurs qui refont l'ordre mondial. Enthousiastes, les radio-amateurs régalent le comédien Héctor Noas, qui incarne le rôle de Serguéi, de pins aux couleurs de leur club.
«Chilenas: femmes de cinéma du Chili»
« Comme j'aimerais qu'il en soit de même au Chili dans le petit nombre de festivals de cinéma que nous avons », regrette Paulina Garcia, invitée vedette du festival que le film Gloria de Sebastián Lelio a rendue célèbre dans le monde entier, au micro de Maria Carolina Piña de la rédaction en langue espagnole de RFI. « Comme j'aimerais que le public chilien aille voir du cinéma chilien ou du cinéma latino-américain avec la curiosité dont fait preuve le public ici... » poursuit Paulina Garcia, qui retrouve à Toulouse ses compagnes, réalisatrices et comédiennes chiliennes, invitées dans le cadre du focus « Chilenas: femmes de cinéma au Chili ». Avec Marcela Saïd, Claudia Huaiquimilla ou Alicia Scherson, elle vient témoigner de la manière dont la présence des femmes dans le cinéma chilien s'est renforcée depuis quelques années.
Le festival, ce sont encore plus de 300 bénévoles (dont les rédacteurs de la très riche revue Cinémas d'Amérique latine éditée par l'ARCALT, l'Association des Rencontres des Cinémas d’Amérique Latine), et une solide équipe de permanents pour accueillir et présenter quelque 200 invités et 200 films. Une machine qui, au fil des années, a pris de l'ampleur et participe de la renaissance du cinéma latino-américain en accompagnant sa diffusion mais aussi sa production, en favorisant les contacts entre professionnels du film. Une aventure portée au départ par quelques militants d'un collectif d'associations de solidarité avec l'Amérique latine et qui est devenue le principal festival de cinéma consacré aux cinémas du sous-continent américain en France. Le plus important même en Europe selon le cinéaste chilien Miguel Littin, et une aventure qui trace sa route.
* L'Amérique latine en France: Festivals des cinémas et territoires imaginaires, Amanda Rueda, Presses universitaires du Midi, 2018
► Le programme du festival Cinélatino