Son patronyme signifie « camphre » mais on peut entendre « Kampf », le combat.
Les batailles de Ronelda Kamfer, née en 1981, commencent tôt :
La foire aux pères
Des pères j’en connais des tas
des qui bossent pas
des qui passent leur temps dans la cour
des qui sont en taule à Pollsmoor
des qui pioncent dans les caniveaux
des qui dorment le jour et travaillent la nuit
Des pères j’en connais des tas
des qui détestent leurs enfants
des qui aiment un peu trop leurs filles
des qui battent leur femme
des qui sont malades quand ils n’ont pas de vin
des qui n’ouvrent presque jamais leur bouche
Des pères j’en connais des tas
sauf un : celui que
je n’ai jamais vu
Elle a grandi chez ses grands-parents, parmi les ouvriers agricoles du village de Grabouw, au sud-est du Cap. Jadis, le salaire était en partie versé en litrons de vin. Elle arrive en ville à treize ans. Elle connaît la pauvreté. Elle assiste, impuissante, à la guerre entre bandes de malfrats qui déchire la jeunesse des townships et fait encore rage de nos jours.
Gentilles filles
Les gentilles filles ne sont pas dans des bandes
elles ne tombent pas enceintes à treize ans
elles ne se font pas faire des tatouages de gangs
elles ne fument pas de l’herbe
elles ne se défoncent pas au crystal meth
elles ne se font pas tringler par les profs
et les chauffeurs de taxi
elles ne travaillent pas chez Shoprite
elles ne font pas femmes de ménage
les gentilles filles n’habitent pas les townships des Cape Flats
Les Cape Flats, ce sont ces grands quartiers battus par le vent, dispersés sur la plaine qui s’étend derrière la Montagne de la Table jusqu’à l’océan Indien. Ils comprennent les maisonnettes en dur de Langa, les taudis de Khayelitsha et les immenses rues grises de Mitchell’s Plain. C’est dans ce township qu’on a relogé de force les métis expulsés du District 6 à partir de 1968.
Adepte du style direct, comme Antjie Krog, Kamfer ne donne pas dans la fioriture pour décrire son quotidien. Son afrikaans n’est pas celui de Stellenbosch, c’est celui des banlieues. Elle se demande quelle sera la vie de sa petite fille dans un monde de violence.
Ses poèmes se retrouvent dans Pas de blessure pas d’histoire et dans PO&SIE n°157.
En 2016, elle a sorti un recueil émouvant, intitulé Hammie, dédié à sa mère. Pierre-Marie Finkelstein l’a déjà traduit en français, comme les deux poèmes ci-dessus. Il ne reste plus qu’à le fabriquer. Editeurs courageux, encore un petit effort !
Ronelda KAMFER, Chaque jour sans tomber, Chantiers navals, 2013
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